Qui m'aime me suive!
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C’est l’expo Hokusai qui m’a rappelé que je n’avais encore jamais lu d’auteur japonais, même si cela faisait très longtemps que je chérissais le projet de lire Mishima.
Au départ, il y avait un garçon aux cheveux décolorés (se fournissant exclusivement chez Muji), qui en parlait avec des trémolos dans la voix (de Mishima et Muji) et a donc suscité mon intérêt (pour Mishima et Muji).
Quelques années plus tard, en juin 2008, j’avais acheté les flacons à pompe et le taille-crayon transparents mais je n’avais toujours pas lu Mishima. Aujourd’hui, c’est chose faite.
Mon choix s’est porté sur Le Pavillon d’Or parce que c’est ce que le monsieur de Compagnie m’a conseillé et que je crois tout ce qu’on me dit.
Pitch : Nous sommes à Kyoto et la fin de la Seconde Guerre mondiale approche. Mizoguchi devient bonze novice au Pavillon d’or. Il conçoit tout d’abord de l’indifférence pour ce temple, mais petit à petit le Pavillon d’or étend son emprise sur lui. Le jeune bonze, laid et bègue, ressent une grande fascination pour ce bâtiment qu’il considère comme l’incarnation de la beauté. Cette fascination se transforme graduellement en obsession puis en haine pour ce qu’il considère comme une provocation envers sa propre laideur. C’est ainsi que naît en lui l’idée du crime ultime.
Voilà un bien beau roman amis lecteurs, qui étudie les mobiles d’un véritable crime ayant eu lieu à Kyoto en juillet 1950. Mishima laisse de côté toute considération triviale et terre-à-terre pour ne se concentrer que sur l’excuse bidon improvisée par le jeune bonze du fait divers : il aurait commis ce crime par haine de la beauté. Genre.
Néanmoins cette justification a le mérite de fournir une belle matière de réflexion pour un roman et Mishima s’en est donné à cœur joie. La beauté est ici principalement décrite sous la forme du Pavillon d’Or que le narrateur dépeint tout au long de l’œuvre : le jour, la nuit, au crépuscule, en été, au printemps, en hiver, en automne, avant une tempête, mais aussi telle qu’elle lui apparaît dans ses songes et hallucinations. D’autres paysages sont décrits : un bord de mer, un parc, un port, la campagne. Les descriptions m’ont beaucoup fait penser aux estampes japonaises d’Hokusai, mais mises en mouvement, par la finesse des détails, la nuance des couleurs. On imagine le manuscrit écrit au pinceau à calligraphie.
Cependant, ça fait beaucoup de descriptions. A la fin, je n’en pouvais plus du Pavillon d’or. En plus, le style est du genre « padamboum » comme l’a finement analysé Praline, c’est-à-dire que l’on part souvent dans de grandes envolées. Je n’ai rien contre les grandes envolées ; une de temps en temps ne fait de mal à personne, mais il faut savoir que longtemps, je n’ai pas pu supporter Hugo à cause de ça (d’ailleurs on ne peut toujours pas me parler des poèmes). Bon, les descriptions du Pavillon d’Or n’arrivent pas au niveau de la description de Notre-Dame mais j’ai du morceler ma lecture pour éviter l’overdose. Bien sûr, ceci est propre à mon expérience de lectrice et je ne jugerais quiconque ayant le goût du padamboum.
Mis à part le coup des envolées, j’ai trouvé ce roman merveilleux par l’analyse de la beauté et du mal qu’il offre - analyses souvent étonnantes, fines, percutantes qui enrichissent la conception ordinaire que l’on s’en fait. Le narrateur parvient à atteindre la beauté par le mal, créé du beau, ce qui m'a fascinée.
J’ai trouvé ça très intéressant de faire du Pavillon d’Or un être à part entière, comme voué d’une vie et d’intentions propres et déterminé à rendre le jeune bonze fou. Ben oui, moi j’estime qu’apparaître tel un mauvais rêve lors du « moment suprême » cher à Brassens, c’est vouloir nuire à quelqu’un.
Ce roman offre en outre une belle galerie de personnages complexes, ambigus, mystérieux. On apprend que les moines ne sont pas des anges. M’aurait-on menti… ?
Un très beau roman donc amis lecteurs, qui m’a donné envie d’en lire plus. J’ai donc La Mer de la Fertilité à m’envoyer cul sec. Reste à savoir quand !
Avertissement: note à haute teneur en digressions girly et blogguesques
La scène se déroule à Gibert, haut lieu de perdition parisien. Il faut savoir que je me fais un devoir d’éviter cet endroit, tout simplement parce que je préfère donner mes dollars convertis en peu d’euros aux librairies indépendantes au lieu des supermarchés de la kulture. Je sais que ceci est discutable, mais il s’agit de l’un de mes petits snobismes.
Or donc je suis à Gibert, et la raison pour laquelle j’ai envoyé valser mes principes, c’est que je devais acheter mes bouquins d’agrégation dans les plus brefs délais, et que ça me gavait d’avance de courir tout Paris pour trouver les bonnes éditions. C’est donc les bras chargés de bouquins déprimants – sachant que même Steinbeck, même Jane Eyre je les trouvais déprimants dans ce contexte – que je me retrouve au rayon poche.
Et là mes yeux sont attirés par une couverture guimauve, représentant une déesse de la fertilité une sucette à la main. Girly donc, voire chick lit. De quoi repousser agréablement la lecture de mes bouquins d’agreg.
Lily la Tigresse. Le titre me plaît : Peter Pan, tout ça.
La quatrième de couverture m’informe que c’est traduit de l’hébreu. Un peu de nouveauté dans ma Pile A Lire. Très bien, très bien.
Et puis le dernier paragraphe, que je tente de déchiffrer envers et contre l’étiquette du prix : « D’une drôlerie et d’une fantaisie ébouissantes, ce deuxième roman impose définitivement Alona …. raire internationale comme un des… naux de sa génération. »
Je suis convaincue, j’embarque Amos Oz pour faire bonne mesure, et les livres se rajoutent à ma pile de bouquins que je tiens des deux mains et que je finis de stabiliser du menton. Très pratique pour descendre les escaliers en toute dignité.
Mais venons en à Lily la Tigresse. Il a eu l’immense privilège d’inaugurer ma première session du club des théières dont le thème ce dimanche là était « les figures géométriques ». Praline et moi sommes tombées d’accord pour dire que le livre était rectangulaire et qu’à ce titre, il entrait tout à fait dans le sujet. Qui osera nous contredire ? Et puis ce n’est pas comme si j’essayais de faire passer le cœur pour une figure géométrique, sans parler de John le Carré…
Lily la Tigresse donc. Nous sommes à Tel Aviv, de nos jours, mais on pourrait très bien être à New York. Le premier chapitre raconte le déroulement d’une séance de masturbation dans la baignore au rythme de Schubert. Je n’ai toujours pas vu Sex and the City, le film, soit dit en passant.
Lily la Tigresse je disais. C’est l’histoire de Lily, cent douze kilos en comptant ses dents qui ont fait sa gloire. C’est aussi l’histoire de Ninouch, jeune slave maigrissime et contorsionniste, à la dentition pourrie. C’est enfin l’histoire du bébé tigre qu’elles adoptent et qui grandit. Ses dents aussi. Les trois histoires se croisent et fusionnent tour à tour, et chaque page que l’on tourne reconstitue une partie du puzzle de leurs vies. Autour gravitent un fiancé lâcheur, un mari violent, un ex qui expérimente des trucs bizarres sur son corps, une conductrice de taxi, un mac avant-gardiste.
Mais Lily la Tigresse m’a séduit parce que j’ai réussi à croire à des situations complètement oufs, qui paraîtraient ridicules si je vous les raconte comme ça. En réalité ces scènes, belles ou horrifiantes, m’ont parues comme autant d’irruptions inquiétantes du merveilleux, avec créatures magiques, monstres, coïncidence du monde animal et de l’univers humain. Le tout donne lieu à des réflexions dignes d’intérêt, dans un style parfois grave, parfois léger sans jamais trop se prendre au sérieux.
Lily la Tigresse est également d’une grande sensualité et témoigne d’un bel épanouissement de la chair féminine. Lily pèse cent douze kilos et chacun semble lui être source de plaisir. Lily vit pour toutes les fibres de son corps : on peut les sentir vibrer ! Bien sûr, elle se plaint de son poids de temps à autre, mais pas plus que n’importe quelle autre femme. Je n’ai jamais réussi à occulter son poids. Comme Rhett Butler et sa moustache. Ou Darcy et sa chemise mouillée. Et puis cette exaltation de la chair donne lieu à des scènes de galipettes assez tordantes.
Et puis Lily la Tigresse est plutôt imprévisible. Je me suis attendue à tout dans ce livre, mais je n’ai jamais été capable de deviner la suite correctement. Et c’est rafraîchissant tiens. Livre dévoré en un rien de temps, qui a su m’enchanter et maintenir mon intérêt de page en page. Mais point de Peter Pan. Ultime pied de nez au lecteur ?
Faulkner, monstre de la littérature. Et comme tout monstre qui se respecte, il fait peur. C’est que Faulkner demande une attention constante de la part du lecteur : tout est beau, important, complexe. J’ai toujours l’impression de faire un rodéo avec lui : je m’accroche à tout ce qui est accrochable sur quinze pages, et fatalement, ce qui doit arriver arrive. Je me casse la gueule. Je remonte. Je me recasse la gueule. C’est décourageant.
Puis j’ai appris qu’il avait aussi écrit des nouvelles ; l’idée d’un rodéo sur 150 pages me paraît infiniment plus plaisante qu’un rodéo sur 400 pages, et me voilà sur « The Bear ».
Nous sommes quelque part dans les années 1880 (flemme d’aller retrouver la date exacte) et l’on suit Ike dans son corps-à-corps avec la nature. Tout commence par un rituel familial qui se déroule sur plusieurs années : la chasse à l’ours. Le même ours. Le vieux Ben - Moby Dick en mode ours - ne se laisse pas facilement avoir. Ou sont-ce les hommes qui ne veulent pas renoncer à cette chasse qui les unifie et structure leur vie? En tout cas tout le monde s'amuse comme des petits fous.
Ike apprend à communier avec la nature, avec pour mentor Sam Fathers, dont le père est un chef indien et la mère, une femme noire. Avec lui, la nature apparaît comme une entité vivante, immense et puissante, dépassant la compréhension des hommes. La forêt ici m’a fait un peu le même effet que la jungle dans « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, mais en plus sympa. Elle aussi nous fait savoir qui commande, mais quand tout est bien clair, tout se passe très bien. L’écriture dans ces premiers chapitres est forte mais d’une grande simplicité et pureté.
Un chapitre en particulier nous amène plusieurs années plus tard, loin de cette sérénité des premières pages. Ike est sur le point d’hériter de cette terre, et la prose exprimant son refus se fait encore plus poétique dans son rythme, ses évocations, ses sonorités. Le discours d’Ike ressemble à la forêt qu’il vénère tant et dont il refuse de devenir le propriétaire, par respect pour l’enseignement de Sam Fathers. Un rodéo quoi, mais cette fois-ci je me suis accrochée. La preuve : je vous pitche l’histoire. Je peux même vous raconter la fin si vous voulez.
Ce chapitre, le quatrième donc, est fascinant car il nous raconte l’histoire de la propriété à travers une enquête d’Ike, qui fouille dans de vieux registres, de vieux carnets illisibles et reconstitue les événements qui ont eu lieu durant l’esclavage. Et il n’aime pas du tout ce qu’il trouve.
Je vous le dis tout de suite : pour comprendre cette histoire, il faut bien se prendre la tête. J’irai jusqu’à dire qu’il faut être un peu tordu soi-même car franchement ce n’est pas du tout évident. Je vous dis juste qu’il y en a qui deviendraient serial killers pour moins que ça.
Maintenant que je vous ai bien titillés, allez lire « The Bear » et ressortez-en aussi secoués que moi.
Giovanni’s Room est un classique de la littérature homosexuelle. Il s’agit d’une passion tourmentée comme je les aime : je ne te hais point mais un peu quand même et je te suis même si je te fuis et puis je ne sais pas et où tu vas je te parle ?
Deux hommes, un italien et un américain, se rencontrent un été dans le Paris des années 50. David vient d’arriver des Etats-Unis, fuyant l’ennui et partant à la recherche de lui-même dans la vieille Europe (un grand classique). Il fait la connaissance de vieux beaux ayant un penchant pour les beaux garçons et se trouve ainsi embarqué dans le milieu homosexuel parisien où il rencontre Giovanni, un jeune italien. Celui-ci l’emmène dans sa chambre. Que votre imagination vous dévoile la suite.
Tout va bien. Les deux hommes vivent heureux dans la petite chambre de Giovanni et connaissent une grande passion. Mais qui dit passion dit complications, sinon pas lieu d’écrire un roman. David en effet n’assume pas son attirance pour Giovanni. Le mot « homosexuel », ou même « bisexuel », ne s’applique jamais à leur relation il me semble, ce qui est révélateur étant donné que David est la voix du récit. Si on le croit, il n’est qu’un bon hétéro expérimentant les joies de l’existence en attendant sa chère et tendre qui se balade en Espagne pendant une bonne partie du roman. Car oui, il a une fiancée. Avec elle aussi on est en mode « je ne te hais point mais un peu quand même et je te suis même si je te fuis ».
Nous avons donc un héro tourmenté, déchiré entre son attirance pour les hommes et la pression exercée par une société patriarcale à son égard. Son rapport à la chambre de Giovanni traduit cette torture : elle nous parait d’abord un petit coin de paradis, et au fur et à mesure que leur amour se renforce, elle devient sombre et étouffante. Le but de David est de fuir la chambre de Giovanni, littéralement et métaphoriquement, ce qui mènera les deux hommes à leur perte. (Mais non je ne vous raconte pas la fin…)
Baldwin traite ce thème de l’homosexualité d’une façon intense, avec toute la beauté, le mystère et la sensualité que peut contenir la violence amoureuse. Il y a un désespoir tranquille dans la souffrance de David, une dignité dans celle de Giovanni, qui relèvent d’un grand art selon moi.
Le plus beau passage de ce roman à mon humble avis, et qui en reflète le mieux l’esprit : « You want to leave Giovanni because he makes you stink. You want to despise Giovanni because he is not afraid of the stink of love. You want to kill him in the name of all your lying little moralities. And you - you are immoral.”
(“Tu veux quitter Giovanni parce qu’il te rend puant. Tu veux mépriser Giovanni car il ne craint pas la puanteur de l’amour. Tu veux le tuer au nom de tous tes petits principes qui sont autant de mensonges. Et pourtant toi - tu n’as pas la moindre moralité. »)
Giovanni nous dit qu’il faut du courage pour aimer car il faut accepter de salir, d’être sali et d’en être fier. On ne peut ressortir pur de l’amour, physiquement et mentalement. Aimer, c’est porter sa souillure comme une croix, mais aussi comme une couronne.
Les gens, je pars aujourd'hui pour une traversée de deux semaines des Etats-Unis. Nous allons nous entasser à sept dans une immense voiture pour aller à San Francisco, de l'autre côté du pays donc.
Je sais que nous allons tous nous détester à la fin du voyage, ne dites rien.
Ainsi se concluera en beauté mon année merveilleuse aux Etats Unis. Je suis triste de partir, de quitter les personnes avec qui j'ai tant partagé.
Je pense beaucoup à ce texte depuis quelques jours. Je le trouve très beau donc je souhaite le partager avec vous. A bientôt les zamis!
Farerwell! if ever fondest prayer
For other's weal availed on high,
Mine will not all be lost in air,
But waft thy name beyond the sky.
'Twere vain to speak, to weep, to sigh:
Oh! more than tears of blood can tell,
When wrung from guilt's expiring eye,
Are in that word -- Farewell! -- Farewell!
These lips are mute, these eyes are dry;'
But in my breast and in my brain,
Awake the pangs that pass not by,
The thought that ne'er shall sleep again.
My soul nor deigns nor dares complain
Though grief and passion be there rebel;
I only know we loved in vain--
I only feel -- Farewell! -- Farewell!
(Adieu ! Si jamais plus tendre prière
Pour le bonheur d'autrui s'aida des dieux,
Ne s'évanouira la mienne en l'air,
Qui porte ton nom par-delà les cieux.
Vains seraient les mots, les pleurs, les soupirs;
Oh ! bien plus qu'il n'est dit, quand sourd des yeux
Coupables, pleur sanglant, et qu'ils expirent,
Réside dans ce mot : - Adieu ! - Adieu !
Ces lèvres sont closes, ces yeux sèchés;
Mais en mon esprit, mais dedans mon sein,
Veillent angoisses jamais épanchées,
La pensée qui n'aura d'instant serein.
Mon âme - qui ne daigne - ne se plaint,
Quoique se rebelle l'amour anxieux;
Je ne sais rien que : nous aimions en vain -
Je ne sens rien que - Adieu ! - Adieu ! )
Dans la famille « prise de tête », je demande L’Autobiographie d’Alice B. Toklas (1933).
Franchement, dès qu’on pose un œil sur la couverture, on se dit que ça va être compliqué. Parce qu’à côté du titre, L’Autobiographie d’Alice B. Toklas donc, il y a le nom de l’auteur. Qui n’est pas Alice B. Toklas.
C’est Gertrude Stein.
Là on pourrait se dire qu’Alice B. Toklas est un être fictionnel, au même titre que, chépamoi, Célestine (Le Journal d’une femme de chambre, Mirbeau), Des Grieux (Manon Lescaut, mémoires d’un homme de qualité, Prévost), Jane Eyre, (Jane Eyre, An Autobiography, Charlotte Brontë), Octave (Confessions d’un enfant du siècle, Musset).
Ce serait si simple !
Sauf que si on connaît bien ses couples mythiques, on se souvient qu’Alice B. Toklas était la compagne de Gertrude Stein. On se trouve donc face à l’autobiographie d’une vraie personne par une autre personne qui a été très proche d’elle. Gertrude Stein le dit mille fois mieux que moi (en même temps elle n’a pas de mérite, c’est son concept à elle) : il s’agit « d’explorer l’intérieur de l’extérieur ».
Ouvrons le livre à présent. Ca commence de façon très traditionnelle, vieille école dirons nous. Alice B. Toklas est née en telle année, à tel endroit, elle aimait faire de la couture etc. Cependant le récit se concentre presque immédiatement sur sa vie à Paris avec Gertrude Stein, où elles ont vécu à l’aube de la deuxième guerre mondiale et pendant la guerre. Toutes deux fréquentent le milieu artistique de Montmartre, et le livre raconte plein d’anecdotes sur Pablo et ses maîtresses, Monsieur Matisse, Guillaume Apollinaire, Marie Laurencin et d’autres gens très bien.
Tout le livre est comme ça ou presque : une série d’anecdotes, pas nécessairement reliées logiquement, comme elles semblent affleurer à la mémoire de celle qui se souvient. De plus, comme le style est très superficiel, se limitant aux faits et n’évoquant que peu d’émotions, de pensées intimes, j’ai eu l’impression de me retrouver devant un Paris Match pour intellos.
C’est très déconcertant ; on a envie de calmer Gertrude Stein, de lui offrir de la modestie en boite.
Et puis en même temps c’est agréable d’observer ces personnes par le petit trou de la serrure, de comprendre ce qu’il se cache derrière la création de telle œuvre d’art. Par exemple on apprend que pour l’une de ses nombreuses natures mortes, Matisse avait dépensé une fortune pour acheter les fruits. Et comme il n’avait plus les moyens d’en acheter d’autres, et qu’il fallait que les fruits durent jusqu’à l’achèvement du tableau, Matisse faisait en sorte de rendre son appartement le plus froid possible, en hiver.
Après ma lecture, j’ai une autre impression : Gertrude Stein ne fait que raconter leur vie telle qu’elle était, et elle n’y peut rien si elle n’était entourée que de génies. En même temps, elle a sans doute fait une sélection des personnes desquelles elle allait parler.
Ce compte rendu de la bohème parisienne exaspère et fascine à la fois.
Un autre point irritant mais ô combien intéressant : d’Alice B. Toklas il n’est point question dans son autobiographie. Tout tourne autour de Gertrude Stein telle qu’en elle-même, sa vie, son œuvre. Du coup on a l’impression de lire l’autobiographie de Gertrude Stein, vue à la troisième personne. Vertigineux n’est-ce pas ? Le concept d'autobiographie en prend un coup! L’Autobiographie d’Alice B. Toklas est en réalité le fantasme de Gertrude Stein sur elle-même.
Ce que ces lignes confirment (c’est Alice qui parle, mais c’est Gertrude Stein qui la manipule, nous sommes d’accord) :
“The three geniuses of whom I wish to speak are Gertrude Stein, Pablo Picasso and Alfred Whitehead. I have met many important people, I have met several great people but I have only known three first class geniuses and in each case on sight within me something rang. In no one of the three cases have I been mistaken.” (je n’ai pas trouvé de traduction française, mais en gros Alice explique que Gertrude Stein est une génie à l’égal de Picasso.)
On n’est pas en plein culte de la personnalité là? (Ceci n’est pas un jugement de valeur)
Un livre curieux donc. Passionant si on passe outre l’exaspération que suscite l’auteur. A noter que c’est une des œuvres « lisibles » de Gertrude Stein. Parce qu’il y a les œuvres « illisibles ». Non ce n’est pas moi qui ai posé cette distinction. Allez lire Tender Buttons si vous voulez expérimenter l’Incompréhensible dans toute sa gloire. Tout un poème.
Vous ferais-je l’affront de pitcher Mary Poppins ?
Je crois bien que oui, car je me suis rendue compte – horreur ! que pas mal de personnes ne connaissaient pas mon film préféré ou n’étaient plus trop sûres.
Pitch (version Disney avec Julie Andrews) :Maintenant un mot sur Bert, à mes yeux le personnage le plus intéressant de l’histoire car il est celui qui en bouleverse tout le sens.
Quand on regarde le générique de fin, on s’aperçoit que Bert et Mr Dawes sont joués par le même acteur : Dick Van Dyke.
Mr Dawes est l’affreux patron de Mr Banks, qui est convaincu qu’investir est la clef de l’avenir. Il n’a pas tout à fait tort, mais il casse un peu l’ambiance, surtout quand il essaie de piquer les pauvres tuppence (= deux pence) de Michael. Pour lui ces tuppence représentent le début de la fortune. Mr Dawes représente la vie dans sa mécanique, le prévisible, la rationalité, l’adultat. Cependant, à la fin du film il meurt de rire au sens littéral. Et à ce moment survient une scène cruciale : il s’envole, comme les initiés au monde de Mary Poppins quand ils rient. Voyez plutôt.
Mr Dawes s’envole quand il rit, tout comme Bert, et tous les deux sont joués par le même acteur. Troublant n’est-ce pas ? S’agit-il juste d’une blague de la part de Disney ? Ou Mary Poppins contient-il un sens caché beaucoup moins enchanteur que ce qui parait à première vue ? Car si le fait que ces deux personnages soient joués par le même acteur n’a rien d’une coïncidence, faut-il en conclure que Bert contient en lui Mr Dawes, lequel se révélera petit à petit au fil des années ? Il semble que l’on ne puisse échapper à l’adultat : la magie de Mary Poppins n’est qu’éphémère.
Et en effet, des indices préfigurant Mr Dawes apparaissent déjà en Bert : tous ces petits boulots sont amusants, mais demeurent des petits boulots tout de même. Il s’agit de gagner de l’argent, ne serait-ce que des piécettes. « No remuneration do I ask of you but me cap would be glad of a copper or two.” dit-il dans la scène du dessin. A copper or two: tuppence donc. Ah, ces fameux tuppence!
Il me semble donc que cet éloge de l’enfance qu’est Mary Poppins contient en son sein la menace de l’adultat. Si l’enfant ressurgit, c’est à la toute fin, quand l’adulte retombe en enfance. Vous avez dit désespérant ?
Edit: Bien sûr que je n'y pense pas quand je regarde Mary Poppins! Il ne faut pas exagerer non plus... Personne ne va me gâcher mon film préféré, pas même moi!
Chim Chimney Chim Chimney Chim Chim Cheeroo!
Il y a plusieurs livres monumentaux que je n'ai aucune envie de lire. Enfin, il ne faut jamais dire jamais, ma liste réduit progressivement au fil des années.
Par exemple, Moby Dick est sorti de la blacklist l'an dernier. Les sept cent pages de descriptions philosophico-scientifiques de cétacés ne me parlaient pas spécialement. Puis un jour une personne au goût très sûr autant en termes de gâteaux que de livres m'en a parlé avec un enthousiasme délirant. Donc j'ai emprunté l'édition Pléiade, histoire de me raccrocher aux notes (et je me suis accrochée en effet. Comme une noyée)(cette parenthèse n'est pas destinée à décourager qui que ce soit). Au bout de quelques mois semaines je suis sortie de l'épreuve non pas indemne, mais plus forte. Au final, ce fut une merveilleuse expérience de lecture.
La Recherche du temps perdu (ou La Recherche tout court pour ceux qui se la pètent) faisait également partie des pestiférés. Rapport aux phrases interminables, même qu'il faut souligner les sujet-verbe-compléments circonstanciels avec différentes couleurs pour en comprendre le sens, pour ensuite se demander si ce sens nous intéresse et si on a vraiment envie de partir à sa recherche pendant quelques milliers de pages. Bref, ma première expérience de Proust n'a pas été un franc succès.
Et puis à force d'entendre mes amis se demander mutuellement où ils en étaient dans la Recherche (mes amis se la pètent un peu), à force de me sentir exclue de ce cercle très privé, j'ai décidé de faire une seconde tentative d'approche de la bête. Mes motivations étaient purement sociales, très Guermantes dirons nous. Et ça marche assez bien je dois dire.
Pour ceux qui comme moi galèrent, je leur dis (comme on me l'a dit à moi) : commencez par "Un amour de Swann", la seconde partie du Côté de chez Swann. Le style est beaucoup plus accessible que le reste du tome, tout en nous donnant une idée de ce qui nous attend, et comme ce récit est détaché du reste de la narration, on ne se gâche pas la lecture en lisant cette partie en premier.
Et vous, z'en êtes où dans La Recherche?
Un des monstres que je ne pensais jamais lire, mais vraiment jamais, et que forcément je suis en train de lire sinon vous ne liriez pas ce post, c'est l' Ulysses de Joyce. Je ne le lis même pas de ma propre volonté. C'est pour mes cours (ah qu'elle est horrible cette phrase...). Je viens de lire les cent premières pages (il y en a huit cent), et j'ai cru que j'allais mourir. Pour vous donner une idée, Ulysses nous place dans la tête de quelqu'un, c'est-à-dire que vous avez accès direct à toutes ses pensées. Mais sans leur contexte. Mais oui, quand vous pensez, vous n'explicitez pas pour vous-mêmes toutes vos réflexions: il y a des blancs, des passages du coq à l'âne, des références à des événements ou d'autres pensées connus de vous seuls. Voilà, ça c'est Ulysses et je n'ai plus qu'un mois pour le lire.
Ce que j'ai compris: on est à Dublin et on suit deux personnages, Stephen Dedalus et Leopold Bloom. Le premier est artiste (mais je connais Portrait of the Artist as a Young Man du même Joyce, dont il est le héros et l'artiste en question, donc c'est de la triche). Le second est un négociant qui se fait cocufier par sa femme dès qu'il sort de la maison.
Voilà voilà.
En plein désespoir voilà ce que j'ai fait ce soir:
- j'ai acheté un "companion" sur Amazon.uk, un livre avec uniquement des notes explicatives sur une oeuvre. Des gens très sympas et intelligents se cassent la tête à notre place, mais ça a un prix. En livres, c'est déjà cher, mais quand on se rend compte que le dollar a deux fois moins de valeur que la livre, on se sent soudain mal.
- j'ai acheté une traduction française de Ulysses, la toute nouvelle sortie en 2004. Oui je sais, c'est TRES mal de la part d'une fille qui est spécialiste de littérature anglophone. Si ça sort d'entre ces quatre murs virtuels, j'irai mourir de honte au fond de mon lit (j'en profiterai pour dormir). Ce delai fatidique d'un mois me fait renoncer à tous mes principes. Je suis une fille perdue, et j'en rajoute à peine.
Dans un mois, vous aurez donc une vraie note sur Ulysses, et vous saurez si mes deux compagnons m'auront été d'une aide quelconque dans mon Odyssée. Je vous promets du sang, du travail, des larmes et de la sueur.
Vos encouragements et tuyaux seront acceptés avec reconnaissance.
Au cœur des ténèbres, monstre de la littérature, c’est le cas de le dire. Je ne sais pas vous, mais a moi il me faisait peur.
Et puis un beau jour on s’aperçoit qu’il ne fait même pas cent pages. Mais la Réputation veille… Ce pauvre Conrad est en effet souvent étiqueté de chiant, obscur, insupportable, et moi je crois toujours ce qu’on me dit, même si je n’écoute pas. Je me suis donc lancée au cœur des ténèbres, et je reviens ravie de mon expédition (haha).
(J’ai utilisé Londres et exotique dans la même
phrase !)
En effet, la Tamise est comparée à la rivière
qui traverse le Congo, sur laquelle Marlowe navigue plus tard dans le roman. On
se rend compte que l’Angleterre fut une contrée sauvage, inexplorée et inconnue
il fut un temps, avant l’arrivée des colonisateurs, à l’égal des terres
mystérieuses de l’Afrique. Et là, quelque chose de magique se produit : ma
vision de Londres se rembobine, et peu à peu apparaissent des forêts, un fleuve
tourmenté, des sauvages hirsutes (qui a dit « au secours le cliché ? »)
qui effacent les immeubles bourgeois, Soho, le Prince Charles.
Praline, Rose et Lamousmé me mettent dans une situation quelque peu embarrassante. Voilà, elles me demandent de révéler six éléments insignifiants sur ma personne. Seulement, la vie d'une Renarde ne connait point le banal. Si le glamour, la passion et la quête de l'absolu se sont jamais conjugués dans une existence, c'est bien la sienne.
Même s'il faut avouer que parfois les sus-nommés se font la malle. A vous de juger.
- En automne, il m'arrive de faire un petit détour pour marcher sur une petite feuille rousse qui m'a l'air bien croustillante... et l'entendre craquer sous mes pieds, ce n'est que du bonheur. Mais j'ai plein d'autres tics quand je marche: je détermine un nombre de pas précis par dalle, je décide de ne poser le pied que sur un pavé à la fois, ou alors j'entreprends de marcher sur le bord du trottoir, vous savez, la partie limitée par une bande.
- Au petit déjeuner, je me régale d'un bol de flocon d'avoine bouilli dans du lait (qui a dit berk?), auquel j'ajoute un filet de sirop d'érable, le tout accompagné d'un demi litre de thé noir. En revanche, les viennoiseries, les brioches, les crêpes, les gaufres, les gâteaux me soulèvent le coeur le matin, ce qui n'est pas très logique. Vous voyez Audrey Hepburn devant le Tiffany's au petit matin, avec sa robe Givenchy, ses lunettes et son croissant? Ben ce n'est pas moi.
- Quand quelqu'un me hurle dessus, je ne peux pas m'empêcher de l'imaginer en Donald Duck. Je vois la personne avec un béret, une vareuse, de petites plumes, et je l'entends faire "coincoincoin". Crédibilité zéro. Et c'est comme ça que je finis par trouver les gens odieux craquants.
- Quand je veux découvrir un klassique, livre ou film, je déteste qu'on me révèle quoi que ce soit. "On", ça peut être une personne, une intro qui fait du zèle, une quatrième de couverture un peu trop bavarde, une jaquette de dévédé, une critique de Télérama. J'aime être surprise! (Bien évidemment, ce n'est pas la même chose pour ce qui concerne vos blogs, car vous filtrez l'information.)
- Un nouveau verbe est entré dans le jargon de mon université à Boston: "to céline" (verbe régulier). Cela signifie tout bonnement "s'endormir à la bibliothèque". Il faut savoir que je suis une véritable marmotte et adepte des siestes l'après-midi. Cette quantité appréciable de sommeil donne souvent lieu à des rêves (très) bizarres que je m'amuse à interpréter depuis que j'ai découvert Freud cette année. J'apprends des choses que je ne veux pas savoir.
- Depuis hier je me repasse en boucle ces deux chansons, des reprises d'Aragon par Ferrat. Je trouve ça juste complètement hallucinant.
Voilà, je passe le relais à six autres personnes "qu'ont un blog" que je vais m'empresser de prévenir sur leurs blogs respectifs (tel que le veut la Chaine): Erzébeth, Lilly, Nanne (toujours vivante! Alleluia!), Pauline... et je triche: ceux de mes lecteurs qui voudront bien se prêter au jeu!
B.
Baldwin James - Giovanni's room
Barbey d'Aurevilly - Une Vieille maitresse
Baricco Alessandro - Soie
Bataille George - Ma Mère
Baudelaire Charles - Pauvre Belgique!
Brontë Emily
- Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)
Buck Pearl
- La Mère (The Mother)
C.
Capote
Truman - Petit Déjeuner chez Tiffany (Breakfast at Tiffany's)
Chesnutt Charles - The Conjure Woman
Claudel Paul - Le Soulier de Satin
Cohen Albert - Belle du Seigneur
Le Livre de ma mère
Mangeclous
Collins Wilkie - La Dame en Blanc (The Woman in White)
Conrad Joseph - Au coeur des ténèbres
Crick Mark - La Soupe de Kafka (Kafka's Soup)
Cunningham
Michael - Les Heures (The Hours)
E.
Eco Umberto - Histoire de la Beauté / Histoire de la Laideur
F.
Faulkner William - The Bear
G.
Gavalda Anna - Ensemble c'est tout
Gilman
Charlotte Perkins - The Yellow Wallpaper
Green Julien - Adrienne Mesurat
H.
Hesse Herman - Siddharta
Hugo Victor - L'Homme qui rit
L.
Léry (de) Jean - Histoire d'un voyage faict en la terre du
Brésil
Louÿs Pierre - Les chansons de Bilitis
M.
Mc Cullough Colleen - Les Oiseaux se cachent pour mourir
(The Thorn Birds)
Melville
Herman - Moby Dick
Mirbeau Octave - Le Journal d'une femme de chambre
Molière / Mozart - Dom Juan / Don Giovanni
Moravia Alberto - Le Mépris (Il Disprezzo)
P.
Pamuk Orhan - Mon Nom est rouge
Poe Edgar Allan - Poèmes (Poems)
Q.
Queneau Raymond - Chêne et ChienRosa Don -
La Jeunesse de Picsou (The Life and Times of Scrooge Mc Duck)
R.
Rowling J.K - Harry Potter 6
Harry Potter 7
Roy Arundhati - Le Dieu des petits riens (The God of Small
Things)
S.
Sade - La Philosophie dans le boudoir
Schneider Michel - Marilyn, la dernière séance
Sorel Edward - Vies Littéraires
Spiegelman Art - Maus
Stein Gertrude - L'autobiographie d'Alice B.Toklas
Steinbeck John - Les Raisins de la colère (The Grapes of
Wrath)
Stendhal - La Chartreuse de Parme
Styron William - Le Choix de Sophie (Sophie's choice)
T.
Taylor Kressman - Inconnu à cette adresse (Address Unknown)
Tolstoi Leon - La Mort d'Ivan Ilych
U.
Uderzo - Astérix et la rentrée gauloise
V.
Varejka Pascal - Singularités de l'éléphant d'Europe
W.
Wharton
Edith - Les Beaux mariages (The Custom of the Country)
Ethan Frome
Chez les heureux du monde (The House of Mirth)
Woolf Virginia - Mrs Dalloway
Z.
Zitkala-Sa
- Old Indian Legends
Tout le monde se rappelle d’Undine, la tête-à-claques notoire des Beaux Mariages. Tout le monde se rappelle de son but dans la vie qui est, je vous écoute…
SE TROUVER UN MARI
Bien. Mais encore ?
AVOIR DES $$$
C’est très bien, je vois que tout le monde suit. Et quel effet m’avait fait cette héroïne ? Elle était… ? Elle était… ?
COMPLETEMENT FLIPPANTE
Trrrrrrrès bien. Nous allons poursuivre notre étude de l’héroine whartonienne si vous voulez bien.
Undine Spragg et Lily Bart, même combat : nous sommes
toujours dans les hauts cercles new-yorkais au tournant du siècle, nous sommes
toujours au sommet de notre gloire et de notre beauté.
Pour compliquer un peu les choses, sinon ce n’est pas drôle,
nous sommes fauchées, ce qui ne nous empêche pas d’avoir des goûts de luxe.
Notre mission : trouver un mari avec beaucoup d’argent.
Et si on a l’embarras du choix, on se met aux enchères.
- être considérée vieille fille (brrrr)
- être qualifiée de traînée (pouah !)
Edith Wharton sait de quoi elle parle, elle en a fait les frais.
Car seul le mariage peut permettre à la femme d’être libre de ses actes
et mouvements. Il s’agit d’un marché : la femme sert de vitrine à la
fortune de son époux avec ses bijoux, ses robes, ses dîners. Le couple n’est
rien moins qu’une association, un moyen pour l’un comme pour l’autre de
progresser dans leur carrière sociale. Bref, pour que l’homme ait accès à la 5è
Avenue, il faut que sa femme ait accès à Wall Street. La réciproque est vraie.
Lily Bart y arrive. On a ainsi de belles descriptions de robes,
de soirées, de voyages, de dîners. Mais elle a de plus en plus de mal. La seule
différence entre elle et les pauvres, c’est que chez elle ça ne se voit
pas.
Mais il y a toujours ce problème de faire carrière.
Et en même temps, j’aurais tué pour porter son petit drapé
crème de la soirée des tableaux vivants.
La haute société est réellement fascinante : bien que l’on en connaisse les dessous, l’on ne peut se garder d’être ébloui par son glamour. Serait-ce la pure apparence qui nous séduit tant ? Ou alors serait-ce la cruauté de cette beauté.
Un des personnages fait la remarque suivante au début du roman : de nombreux sacrifices ont du être exigés pour dessiner le personne de Lily Bart. On peut y voir le sacrifice de l’héroïne elle-même, mais pas seulement. Le Prince Heureux d’Oscar Wilde n’est pas qu’un conte.
Soufflée. J’ai été complètement soufflée par ce fabuleux roman que j’ai eu la surprise de découvrir dans ma boîte aux lettres un jour de novembre. Je n’avais jamais lu cet auteur ami de Dickens, considéré comme le précurseur des romans d'enquête. A peine en avais-je entendu parler une fois chez Aurélie, dont la critique était alléchante. C’est justement elle qui me l’a offert, cette chère Aurélie qui décidemment connaît très bien mes (bons) goûts. En même temps, je vous défie de trouver quiconque résistant au charme de ce récit de maître qui dépeint avec force une Angleterre victorienne inquiétante, rendant de façon magistrale sa froideur et son feu.
(Une allusion à une œuvre de Conrad s’est subrepticement
glissée dans ce paragraphe. Sauras-tu la retrouver lecteur ?)
Ainsi le style varie selon les personnages : l’on a une
écriture procédant par touches, contours et couleurs quand Hartright
intervient ; celle de Mr Fairlie est névrosée, agitée, écrite comme sous
la contrainte ; celle de Marian est puissante et sobre.
Deux figures sont somptueuses à mes yeux: celles de
Marian Halcombe et du Comte Fosco. Le personnage de Marian, la sœur laide et
célibataire, est tout en sensualité retenue, en passion réprimée par les conventions de la société
victorienne, mais que l’on devine à travers son écriture et ses actes.
Le(s) portrait(s) du comte Fosco nous présente(nt) un
personnage flamboyant à l’image de Marian, très charismatique, raffiné, véritable
génie dans la manipulation des vies et des personnes.
Merci pour ce merveilleux moment de lecture Aurélie!
La Mort
d’Ivan Ilych est une expérience difficile,
autant pour lui que pour nous. Enfin, plus pour lui maintenant, mais vous,vous vous
prenez toujours autant la tête sur la mort.
Vous étiez pourtant bien tranquille avant
cette lecture. Vous pensiez à la mort bien sûr, mais vous ne vous y attardiez
pas, trop occupé à vivre. Et puis aussi, ce n’est pas très agréable. On a en
effet trois possibilités me semble-t-il :
- être anéanti. Moui.
- Se réincarner. Moi, si je ne suis pas réincarnée en moi ou en chat, je préfère éviter.
- Aller au Paradis ou en Enfer. Le Paradis ça a l’air chiant. Et l’Enfer, dit comme ça… Sauf si on l’envisage comme Rowan Atkinson dans « La Vipère Noire ». Selon lui l’Enfer c’est cool puisque ce serait là où on la luxure, la paresse, la gourmandise font office de lois.
Mais je vais un peu vite. Voilà comment la nouvelle commence. Nous assistons aux funérailles d’un homme, et surprenons les conversations de ses proches qui ne semblent pas très émus par sa mort. Ils parlent argent. Ils pensent à la soirée qui les attend après l’enterrement. On ne sent pas de douleur de leur part, sauf chez un petit garçon silencieux à peine évoqué. On se sent pris d’une grande pitié, et même d’une certaine tendresse pour celui qui va être enterré.
Le narrateur nous présente également une
réflexion sur la solitude. Car Ivan Ilych est seul dans son agonie ou presque.
Les gens sont mal à l’aise face à lui, entretiennent des conversations
factices, font semblant de rien.
Ce livre m’a tellement stressée que j’en avalé une boîte de cookies.
Je ne me souviens pas avoir déjà lu de
roman sur la maladie. Je me trompe ou c’est plutôt rare ? Il y a bien La Montagne Magique de Thomas Mann (pas
lu), et La Tâche de Philip Roth (pas
lu non plus) (ou l’art de parler de livres que l’on n’a pas lu), mais à part
ça, je ne vois pas.
Edit:
Elou ajoute La Maladie de Sachs de Martin Winckler
Rose: Morts imaginaires de Michel Schneider (ce n'est pas specifiquement sur la maladie, mais on reste dans l'ambiance)
Gabriel: Un Homme de Philip Roth
Erzébeth: Love story
Voilà ce que j’ai eu la joie immense de
découvrir ce matin sous mon sapin : « L’Histoire de la Beauté »
et « L’Histoire de la laideur » (Flammarion) par Umberto Eco, deux
livres magnifiques, abondamment illustrés de peintures, de dessins, contenant
de nombreux poèmes, extraits de romans et d’essais, allant des origines à nos
jours. J’ai l’impression néanmoins que les livres ne présentent pas beaucoup la
pensée et l’art africain, oriental et asiatique, et montrent la laideur et la
beauté plutôt d’un point de vue occidental. Mais bon, il y avait déjà de quoi
faire.
C’est tout ce que je peux dire pour l’instant
puisque vous vous doutez que je n’ai pas eu le temps de parcourir les huit cent
pages des deux livres. Cependant, je peux vous dire que j’ai passé un moment
délicieux à les feuilleter, à regarder les images surtout (c’est bien les
images quand on en a marre de lire, ce qui arrive même aux meilleurs, regardez
Lilly - reviens Lilly !).
J’avais l’impression d’être un enfant, l’imaginaire stimulé et émerveillé par ces princesses et ces monstres. Et ce que j’ai vu des peintures me donnaient une vision de la beauté et de la laideur que je n’avais jamais envisagé auparavant. Par exemple, je n’avais jamais vue « La Femme qui pleure » de Picasso comme laide (ce qui ne contredit pas sa beauté d’œuvre d’art). Ces livres me tiraient dans plein de nouvelles directions différentes, moi qui étais endormie depuis plusieurs jours par les siestes et le chocolat.
Voilà la liste des thèmes des deux livres pour vous mettre l’eau à la bouche :
LA LAIDEUR :
- la laideur dans le monde classique
- la passion, la mort, le martyr
- l’Apocalypse, l’Enfer, le Diable
- Monstres et Merveilles
- Le laid, le comique, l’obscène
- La laideur de la femme entre Antiquité et Baroque
- Le Diable dans le monde moderne
- Sorcellerie, satanisme, sadisme
- Physica curiosa
- La rédemption romantique de la laideur
- L’inquiétante étrangeté
- Tours de fer et tour d’ivoire
- L’avant-garde et le triomphe de la laideur
- La laideur d’autrui, le Kitsch et le Camp
- La laideur aujourd’hui
LA BEAUTE :
- l’idéal esthétique en Grèce
- Apollinien et Dionysiaque
- La Beauté comme proportion et harmonie
- La lumière et les couleurs au Moyen Age
- La beauté des monstres
- De la bergère à la donna angelicata
- La beauté magique entre XVè et XVIè siècles
- Dames et héros
- De la grâce à la beauté inquiète
- La raison et la beauté
- Le sublime
- La beauté romantique
- La religion de la beauté
- Le nouvel Objet (beauté des objets)
- La beauté des machines
- Des formes abstraites au profond de la matière
- La beauté des médias
Père Noël, que le chemin de ta vie soit parsemé des pétales de cent mille roses.
J’aurais aimé vous parler d’un livre de Noël, comme Dickens ou … Dickens, seulement je n’ai pas lu Dickens ni Dickens. En revanche, j’ai cédé à la tradition américaine (et espagnole) de visionner « It’s a Wonderful Life » de Frank Capra le soir de Noël. Je ne résiste pas au plaisir de vous en parler même si ce n’est pas dans les habitudes de la maison de parler de films.
Ca sentait le bon sentiment et le happy
end hollywoodiens à plein nez donc j’ai
dit tope-là mon frère.
Notre banquier, après avoir hurlé sur tout le
monde, démoli des trucs dans sa maison, fait rentrer sa voiture dans un arbre,
se rend sur un pont et s’apprête à se jeter dans l’eau. C’est là qu’un ange,
désireux de monter en grade et d’obtenir ses ailes, l’empêche de faire
n’importe quoi et entreprend de lui montrer comment le monde serait si lui
n’avait pas existé.
Mais bon, du début du film au moment où notre
banquier s’apprête à se suicider, on va de catastrophe en catastrophe. En plus,
il y avait des petites considérations financières auxquelles je ne comprenais
rien (je fais l’autruche dès qu’on parle de chiffres, même dans Balzac). Et
j’étais de mauvaise humeur puisque les gens ne voulaient mettre sur pause pour
m’expliquer. Pas vraiment mon idée d’un film de Noël pour tout vous dire.
On bat des deux mains, je vous le dis.
J’ai trouvé que son épouse (Donna Reed) était un beau
personnage également, loin des femmes fatales d’Hollywood dans les fourreaux
desquelles j’aime à m’imaginer. Elle soutient son mari, lui est d’une aide
précieuse, prend souvent des initiatives. Et est d’une beauté rétro, discrète
mais pas fade.
Vous ne pouvez pas penser à moi, bien que...
- je suis presque tout le temps en jupe ou en robe et j'augmente régulièrement la hauteur de mes talons,
- le gloss rose parfumé à la barbe à papa est mon ami, et j'assume le maquillage à paillette,
- (attention, pas facile à avouer) je lis les blogs de filles et de mode (bien que je ne suive pas la mode). Et quand j'étais en France, j'achetais religieusement mon Cosmo et mon Glamour chaque mois, que je savourais avec une tasse de thé et une boîte de cookies, au plus grand désespoir de l'Homme,
- mon coeur bat un peu plus vite quand je vois lui
ou encore lui (Ewan Mc Gregor)
Mais là où je défaille, c'est face à lui:
enfin lui quoi (dégage de là sale garce):
Mais attention: je ne suis pas du genre mante religieuse qui se dit que ce mâle a de belles fesses. Moi ce serait plutôt le "Hiiiiiiiiiiiiiiiiii kes kil est boooooooooooo!!!!!" de quand j'avais douze ans.
- J'adore le rose. Enfin rose, je me comprend: fuschia, framboise, vieux rose, rose très pâle. Pas le rose Barbie ou bonbon, c'est pas la fête non plus.
Ca n'empêche pas mes amis de hurler au mauvais goût (ils se reconnaitront). Franchement ça pourrait être pire.
- Passer une soirée de filles, avec des trucs sucrés à manger, des films à l'eau de rose à regarder et des potins à se raconter, c'est juste le bonheur.
- Voilà les silly love songs que je peux m'écouter en boucle. En boucle, je veux dire que mon entourage finit par devenir fou:
Je me pâme sur Aimer à perdre la raison de Ferrat.
Pour moi, La chanson des vieux amants de Brel est une des plus belles pièces de la chanson et la poésie francophone.
Je me réveille avec Can't help myself (des Four Steps), et Wouldn't it be nice (des Beach Boys).Et aussi Your Song interprétée par Ewan Mc Gregor pour le film "Moulin Rouge" (et je n'ai rien contre Come What May de la même BO)
Et pour m'endormir: Wonderful Tonight (d'Eric Clapton), Thank you for loving me (Bon Jovi, si c'est n'est pas de la midinette attitude en force ça!), I Just don't think I'll ever get over you de Colin Hay (BO de "Garden State")
- Pour enfoncer une dernière fois le clou, je crois en l'amour, le vrai, où on voit des coeurs partout et où on chante comme dans une comédie musicale. Toute sa vie!
Là je viens de repousser les limites de la midinette attitude, j'en suis tout à fait consciente et je m'étonne moi-même.
Je n'ai plus de crédibilité. Merci qui? Praline et Fashion!
Qui osera marcher sur nos pas? Qui avouera?
J.K Rowling a annoncé lors d’un entretien avec des lecteurs
il y a un mois que l’honorable Dumbledore était gay. Et qu’il était amoureux de
Grindelwald.
Après quelques instants de silence, la salle a salué ce
coming out d’un tonnerre d’applaudissement. Et j’aurais fait pareil si j’avais
été là.
Sauf que je n’étais pas là, et plus j’y pense, plus je suis perplexe.
Il me semble que J.K Rowling ne s’engage pas vraiment sur
cette question, puisque il n’y en a pas de trace dans son œuvre. Genre elle
soutient la cause homosexuelle, mais pas trop quand même.
Coup de pub ?
Moi, je m’en fous éperdument de qui est gay, qui ne l’est
pas, qui se tâte, qui tripote qui. D’ailleurs je n’ai pas trop aimé le 6è tome
à cause de ça. Mais à partir du moment où l’auteur a choisi d’aborder cette
question, on peut s’interroger sur son silence concernant ces points.
L’homosexualité serait-elle taboue dans le monde des
sorciers, comme elle l’est dans la société moldue? Est-ce cela que J.K Rowling
veut montrer ? Sa déclaration est-elle un moyen de porter notre attention
sur ce silence éloquent ? C'est le seul intérêt que je vois.
Tiens, J.K Rowling avait peut-être envie de les embêter un peu...
Quoi qu'il en soit, un personnage est ce que son auteur écrit sur lui. Je ne sais pas s’il peut continuer à le développer une fois le point final posé. C’est à nous d’imaginer l’épaisseur humaine du personnage ; c’est, il me semble, un des rôles et des privilèges du lecteur que de recréer le monde de l’œuvre à son tour.
C’est pour ça que l’habitude prise par J.K Rowling de révéler des éléments inédits d’Harry Potter m’agace un peu. Je n’y crois pas. Je ne doute pas qu’elle ait énormément de choses à dire, mais dans ce cas, qu’elle continue la série. Je la lirais avec le plus grand plaisir.
Depuis que je suis arrivée à Boston, on n’arrête pas de me
répéter que je vais pleurer ma mère en hiver, tellement il fait froid.
Que j’aurai plusieurs fois la tentation d’appeler un taxi
pour aller en cours (en courant le trajet me prend cinq minutes), et qu’il est
très probable que j’y céderai au moins une fois.
Que mes cheveux vont se transformer en stalactites et qu’ils
se briseront en deux sous l’effet du froid si je ne fais pas attention.
Que oui, investir 300$ dans un manteau d’hiver est tout à fait
raisonnable et à envisager sérieusement.
L’hiver ne donne vraiment pas de bonnes idées à Ethan Frome. Toutes ses actions, irréversibles, sont regrettables et il finit par les payer très cher. Au début du livre, il est présenté comme un homme détruit et le reste du roman revient en arrière pour raconter comment il en est arrivé à devenir ce débris humain.
Vous êtes prévenus : tout se passe mal, le début est terrible, la suite est pire encore, et je ne vous parle pas de la fin qui forcément est tragique. Et non, je ne spoilie rien du tout !
La princesse/bonne fée est là.
Le bon bûcheron rustre au grand cœur aussi.
La sorcière malveillante avec son chat : présente.
La chaumière isolée du reste du monde (genre la
« petite maison dans la prairie ») est là aussi.
Du coup, avec toute cette neige et les aventures de nos
héros, on se retrouve dans une atmosphère que j’ai trouvée presque magique.
On a celui de l’homme
pauvre opprimé par sa femme et ses obligations sociales et paf ! on a un
discours sur la pauvreté qui crée un système aliénant de dépendance.
Mais on peut aussi voir celui de l’épouse malade aigrie qui
voit son mari lui échapper, et paf ! discours sur le mal-être féminin.
Sans oublier celui de la jeune fille soumise à la tyrannie
de sa patronne-cousine, et boum ! critique des conditions de vie des
jeunes filles, contraintes de se trouver un mari ou d’accepter des boulots
minables pour pouvoir survivre.
Ou alors, collez-vous à un radiateur.