A l’origine fut l’exposition au musée Rodin, présentant les
« Figures d’Eros » (= dessins et aquarelles érotiques) du maître. Les
jolies étiquettes blanches sous les œuvres indiquaient à quelques reprises
l’influence du « Jardin des Supplices », d’Octave Mirbeau que je ne
connaissais que de réputation. Je suis allée le feuilleter à la boutique du
musée, mais comme je n’étais pas d’humeur à lire dans le détail ces joyeusetés
un peu crades, je n’ai pas acheté le livre. Cependant, j’ai retenu le nom
d’Octave Mirbeau.
Il y a quelques semaines, je suis retombée sur lui sous la
forme d’un « Journal d’une femme de chambre ». Vous ne trouvez pas
qu’il est doué pour pondre des titres un peu racoleurs ? J’ai
feuilleté : pas de trace de torture, de sadisme, de fouets, de sang, d’instruments
coupants, (vous n’entendez pas mes statistiques qui montent ?) tout va
bien. Moi, tant que tout le monde est consentant, en sort vivant et indemne, ça
me va.
Pitchons : Ce roman reconstitue à coups de flash-backs
l’itinéraire d’une femme de chambre parisienne, Célestine, n’ayant pas froid
aux yeux ni ailleurs. Elle est belle, chic, et est l’objet de toutes les
convoitises et perversions sexuelles qui ne font pas mal. Elle se remémore donc
ses nombreuses aventures galantes, n’ayant rien d’autre à faire dans la demeure
de ses nouveaux maîtres enterrés en pleine campagne. Bien sûr, elle se fait
draguer par le maître, mais aussi par Joseph, le jardinier. (mais pourquoi ce
fantasme du jardinier, de l’homme de la forêt partout ??)
Ce qui m’a frappée tout d’abord, c’est le snobisme de
Célestine. Elle veut être chic, avoir de beaux vêtements, manger des mets
raffinés, boire du bon vin, et s’indigne quand ce n’est pas au programme.
Mirbeau montre une domesticité qui paradoxalement appartient au beau monde tout
en demeurant des moins que rien, déchirée dans cet entre-deux. Ca m’a pas mal
fait penser aux « Bonnes » de Genet, où les deux bonnes jouent à être
Madame quand celle-ci est absente, portant ses robes et ses bijoux. De plus, comme
les « Bonnes » de Genet, Célestine emploie un vocabulaire, sinon
poétique, du moins plutôt raffiné. Je ne me souviens pas de termes vulgaires.
Elle tient un journal, et fait même des petits poèmes un peu bêbètes. Elle lit
aussi, suivant l’influence de ses maîtres. Bref, ce roman renvoie une image de
la domesticité du début du XXè qui m’était inconnue.
Ce roman montre les rapports impitoyables entre maîtres et
domestiques : les uns humiliant et exploitant, les autres chapardant et
manipulant. Le maître n’est pas toujours celui qu’on croit, et malgré les
statuts sociaux, nos personnages se valent tous au plan humain. C’est la
jungle, le règne de la loi du plus fort. On regarde ce monde par le petit trou
de la serrure, et le voyons tel qu’il est. Ce n’est pas toujours beau (ni
propre) à voir. Si ce roman peut sembler manichéen, on n’oublie pas qu’il
s’agit du récit d’une domestique forcément partielle et partiale, qui laisse
tout de même échapper quelques détails peu glorieux de son propre comportement.
Mirbeau, s’il dénonce l’hypocrisie de l’univers des maîtres et de la société
des classes en général, semble mettre les domestiques dans le même panier,
puisque eux aussi aspirent à devenir maîtres à leur tour.
Cependant entre eux, d’authentiques histoires d’amour naissent,
souvent brisant le cœur de notre Célestine (et le notre aussi) qui est une
vraie sentimentale (elle veut un câlin après l’amour, vous rendez-vous
compte ?). Car Célestine cède aux plaisirs de la chair par amour de la
chose et des hommes. Ses relations ô combien multiples ne font pas d’elle une
putain, car elle fait tout par amour. Cependant, l’amour n’est pas positif pour
autant, car stérile, pervers et surtout blasé. De la part de ses galants, l’amour n’est issu
et n’aboutit presque jamais à l’♥Amour♥, le vrai, l’unique, avec les cœurs qui
battent à l’unisson.
Question perversités, rien de neuf sous le soleil. Liaisons
extra-conjugales, saphisme, onanisme. La routine quoi. Célestine a bien des
fantasmes de meurtre mais bon. Le couple Eros-Thanatos n'est plus une nouveauté.
Ah si, un truc : on trouve un vieillard fétichiste
au début du livre, mais il ne reste pas très longtemps, et ce n’est pas drôle
(qu’il parte ; qu’il renifle les bottines de ses domestiques au contraire
c’est hilarant). Et puis il y a un viol aussi, et pour le coup ce n’est
vraiment pas drôle.
J’ai trouvé l’écriture très belle pour décrire ces actes de
chair (c’est joli « acte de chair », non ?), toute en périphrases,
non-dits, suggestions. Du coup, c’est bien un livre sur la sexualité, mais pas
érotique, et ça m’a étonnée vu la réputation de ce bouquin. Il m'est apparu un peu vieilli, mais son ambiance un peu rétro m'a séduite. Vraiment l'impression de lire des pages trouvées dans un grenier, un peu jaunies mais dont l'encre ne s'est pas délavée.
Voilà, ce petit compte-rendu de lecture en hommage à la
femme de chambre qui est entrée dans ma chambre d’hôtel à Bruxelles alors qu’on
ne lui avait rien demandé, et qui s’est retrouvée face à une renarde en petite
tenue et rougissante.
PS : Deux versions cinématographiques, très infidèles
parait-il, en sont tirées, une de Renoir (avec Paulette Godard), et une de
Bunuel (avec Jeanne Moreau).