Pauvre Belgique! - Charles Baudelaire
Compte rendu de notre petit voyage au plat pays. Je passe sur le très évident « C’était un truc de ouf ! C’était trop bien ! Même s’il faisait froua et même si Sarkozy a profité de notre départ pour faire son président ! » Venons en à l’essentiel.
On me signale que c’est aussi un
genre de fille pas fréquentable. C’est à n’y rien comprendre.
g.de Bruxelles-> g. de Liège ->
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J’ai appris qu’il existait 2000 sortes de bière différentes. Enfin c’est ce que la pub pour un bar disait. Nous ne sommes pas allés vérifier.
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J’ai pu constater que le jet du Manneken Pis ressemblait étonnamment à ce à quoi c’est censé ressembler. (Vous constaterez que je maîtrise aussi bien toujours l’art de la périphrase). Moi qui pensait que c’était un torrent, comme dans une vraie fontaine qui se respecte. Mais non. C’est juste de la pure provoc.
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En parlant de provoc, ya des poitrines en chocolat dans toutes les bonnes chocolateries de Bruxelles et Bruges. Il en faut quand même plus pour m’impressioner.
ça, sans la tête et les foulards, en chocolat ->
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J’ai été impressionnée par les brugeois (brugeais ? brugellais ?) qui maîtrisaient le néerlandais ET le français ET l’anglais.
Tout ça pour vous dire que je trouve que Baudelaire exagère un tantinet quand il parle de la Belgique dans son pamphlet impitoyable contre un peuple entier : « Pauvre Belgique ! », débuté en juin 1864. (Notez l’emphase du point d’exclamation.) Tout y passe : les mœurs, les arts (car l’explosion artistique des lettres et de l’art belges se feront à la fin du XIXè) , la politique, la religion.
Voilà comment ça commence :
« Qu’il faut, quoi que dise Danton, toujours « emporter sa
patrie à la semelle de ses souliers.
La France a l’air
barbare, vue de près. Mais allez en Belgique et vous deviendrez moins sévère
pour votre pays.
Comme Joubert
remerciait Dieu de l’avoir fait homme, et non femme, vous le remercierez de
vous avoir fait, non pas Belge, mais Français.
Grand mérite à faire
un livre sur la Belgique. Il s’agit d’être amusant en parlant de l’ennui,
instructif en parlant du rien. »
A ce propos, saviez vous que le dernier mot qu’il était
capable de prononcer et qu’il répétait constamment était
« Crénom !» ? Fin tragique pour le plus grand poète des lettres
françaises.
« Le visage
belge, ou plutôt bruxellois.
Chaos.
Informe, difforme, rêche, lourd, dur, non fini, taillé au couteau.
Dentition angulaire.
Bouche non faite pour
le sourire.
Le rire existe, il est
vrai, mais inepte, énorme, à propos de bottes. »
C’est assez hallucinant. Il s’acharne sur leur accent, leur
maîtrise relative du français, leur saleté, leur bêtise, leur démarche, leur
volonté d’imiter la France et les Français (« Ils aimeraient bien avoir
l’air, mais n’ont pas l’air du tout ! » dixit Brel). Je vous passe
les détails, je ne voudrais pas choquer mes lecteurs belges. (car j’ai un
lectorat international héhé)
Si un détail quand même : j’ai été très frappée par la
dimension scatologique des notes. Il compare la Senne à une immense latrine, la
Belgique à « un bâton de merde », il commente les habitudes
latrinesques des Belges.
En revanche, il est très admiratif de l’architecture et de la sculpture. C’est étonnant de voir ces louanges au milieu d’insultes.
"Les Belges et la Lune"
On n'a jamais connu de race si baroque
Que ces Belges. Devant le joli, le charmant,
Ils roulent de gros yeux et grognent sourdement.
Tout ce qui réjouit nos coeurs mortels les choque.
Dites un mot plaisant, et leur oeil devient gris
Et terne comme l'oeil d'un poisson qu'on fait frire;
Une histoire touchante, ils éclatent de rire,
Pour faire voir qu'ils ont parfaitement compris.
Comme l'esprit, ils ont en horreur les lumières;
Parfois, sous la clarté calme du firmament,
J'en ai vu, qui rongés d'un bizarre tourment,
Dans l'horreur de la fange et du vomissement,
Et gorgés jusqu'aux dents de genièvre et de bières,
Aboyaient à la Lune, assis sur leurs derrières.
D'accord, ce n'est pas du Baudelaire dans toute sa splendeur. Mais cette drôlerie mordante, cette verve, cette satire... Baudelaire reste Baudelaire.
Pourquoi tant de haine ? En partant pour la Belgique,
il espérait faire publier ses œuvres complètes et se faire un peu d’argent (il
a vécu dans la misère presque toute sa vie) en intervenant dans des
conférences. Bien sûr il s’est fait jeter par les éditeurs, et les conférences
furent très mal payées. Disons qu’il semble avoir, au seuil de son existence,
reporté sur la Belgique toute sa colère, son amertume et sa frustration, sa
rancune envers son pays et son siècle. Même s'il devait y avoir du vrai, « Pauvre Belgique » apparaît comme un délire ultime.