Chêne et Chien - Raymond Queneau *
Queneau, c’est « hénaurme ».
Démonstration.
Vous voyez le livre à droite, là ? Bien. Il s’agit de Chêne et Chien, une autobiographie en
vers, avec des alexandrins, des hexasyllabes, des césures à l’hémistiche et
tout et tout, charmantes bestioles délaissées depuis la fin du XIXè siècle. Le
monsieur se réclame même de Boileau, mis en exergue de la première partie de la
chose. C’est gonflé quand même, de la part d’un ex surréaliste (justement, il
aime bien embêter Breton).
Elle m’emmenait
également en vacances
A Orléans, aux Andelys
Où successivement
habita-z-une tante
Qui me traitait comme
son fils.
Ou encore : exempleu
du déclin de la France
Cette conception orale de la poésie renvoie aux trouvères et
troubadours du Moyen Age, d’autant plus que la matière du poème constitue à
elle seule une épopée… Ahhh la cure de psychanalyse de Queneau… ! (touing
touing…n’est-ce pas du luth que j’entend là ?)
D’ailleurs, Queneau appelle son œuvre « roman en
vers ». Il considère qu’il n’y a pas de différence pour lui entre roman et
poésie puisque leur matière peut être la même. Y en a marre de ces poètes
romantiques faisant du lyrisme le tout de la poésie !
"...Quand je
fais des vers, je songe toujours à dire ce qui ne s'est point encore dit en
notre langue. C'est ce que j'ai principalement affecté dans cette nouvelle
épître... J'y conte tout ce que j'ai fait depuis que je suis au monde. J'y
rapporte mes défauts, mon âge, mes inclinations, mes moeurs. J'y dis de quel
père et de quelle mère je suis né... ". (Boileau cité en exergue)
C’est pourquoi Queneau n’a pas de problème avec le fait de
mettre sa propre vie en vers, même si le sujet ne parait pas poétique à
première vue.
La chose est composée de trois parties.
Dans la première, on voit Queneau gamin et ado, se prenant
la tête et torturé par ses angoisses et anxiétés étranges. On le voit aussi en
pleine crise oedipienne :
Elle m’appelle son
pinson.
Elle raconte qu’elle m’aime.
Mon lit se trouve près
du sien.
J’entends gémir cette infidèle.
C’est ainsi qu’on n’est pas étonné de le retrouver en
deuxième partie sur un divan de psychanalyste, racontant ses rêves, ses
impressions.
En troisième partie, c’est la guérison tant attendue, la
victoire du Moi sur ses terreurs et son inconscient.
Tout tourne donc autour du Moi de l’auteur, ce qui explique
le titre Chêne et Chien. Il renvoie à
l'étymologie du nom de l'auteur : la racine quen de Queneau renvoie aux
mots normands quenne qui désigne le chêne (=le bien, la force), et quenet
, qui désigne le chien (=le mal, l’infamie).
Chêne et Chien voilà
mes deux noms,
Ethymologie
délicate :
Comment garder
l’anonymat
Devant les dieux et
les démons ?
Pas mal de critiques ont d’ailleurs comparé cette structure avec celle de la Divine Comédie de Dante :
Enfer-Purgatoire-Paradis. Ce que j’adore avec Dante, c’est qu’on peut
l’invoquer pour à peu près tout et n’importe quoi.
Ma grand-mère était
sale et sentait si mauvais
Que de plus d’une dame
on ne revit l’ombrelle.
Ou encore : Certes
j’avais du goût pour l’ordure et la crasse,
Images de ma haine et
de mon désespoir :
Le soleil maternel est
un excrément noir
Et toute joie une
grimace.
Je pourrais continuer pendant des heures, c’est à mourir de
rire !