Une vieille maîtresse - Barbey d'Aurevilly
Barbey d’Aurevilly, c’est comme les Goncourt, Sully Prudhomme, Taine : son nom est familier, on peut faire des jeux de mots débiles avec, on l’a croisé dans le Lagarde & Michard, mais on serait bien en peine de citer un de ses ouvrages. A se demander s’ils ont vraiment écrit quelque chose…
Lorsque j’ai vu que « La vieille maîtresse » de Catherine Breillat (que Barbey peut remercier) était en réalité l’adaptation de son roman, j’ai bien été obligée de reconnaître que oui, il écrivait. Ce qu’ont aussi constaté tous les libraires de France et de Navarre, à en juger par les piles toutes neuves de « Vieille maîtresse » qui agressaient le client dès l’entrée. J’en ai même trouvé dans le Relay de la gare de Strasbourg, dans le rayon « Classiques ».
Vous vous rendez compte ? Un rayon « Classiques » dans un Relay ! Relégué dans le coin au fond à gauche certes, mais tout de même ! C’était trop fou pour être vrai : j’y ai acheté pour 30 euros de livres, dont 7,50 pour mon Barbey, enfreignant ainsi le point n° 7 du Règlement. Dans un Relay en plus.
Il faut dire que le sujet m’intriguait au plus haut point : un homme déchiré entre sa jeune épouse - la blanche et pure Hermangarde - et sa vieille maîtresse - l’ardente Malagaise nommée Vellini. Je voulais lire l’histoire de cette passion, je voulais de l’amour, de la haine, du sang, de la sueur et des larmes. J’en ai eu pour mon argent, c’est le moins qu’on puisse dire.
Et puis je voulais savoir QUI était ce Ryno de Marigny, interprété par un des visages les plus fascinants du paysage cinématographique français. Mondial même, n’ayons pas peur des mots.
Voilà le bilan:
Le style est assez lourd. J’ai du relire un certain nombre de phrases plusieurs fois, et parfois renoncer à les comprendre, un peu agacée par leur hermétisme. Maintenant on comprend pourquoi Barbey ne fait pas partie du panthéon de nos Klassiques.
Mais paradoxalement, la langue demeure très belle, avec quelques fulgurances poétiques de temps à autre.
C’est que Barbey décrit à merveille la passion, cette folie furieuse qui unit Marigny et Vellini malgré eux, et c’est dans ses moments là que l’on oublie la pesanteur de son style pour se concentrer sur l’histoire en elle-même. Passion, car en effet la souffrance est toujours présente. Ils « se sont plus haïs qu’aimés », dit le texte. Et en même temps ils se cherchent tout en se fuyant, tant ils ont soif de ce qui les fait souffrir.
De l’autre côté, on a le véritable amour sans prises de tête avec le couple Marigny-Hermangarde. Car Marigny est véritablement fou de sa femme, sans aucune réserve. Il s’agit d’un mariage d’amour, comme en rêvent toutes les jeunes filles de l’époque. Le livre n'est donc pas manichéen: il n'y a pas de méchante, on n'a pas envie de prendre clairement partie pour l'une ou l'autre, Marigny n'est pas décrit comme un salaud... Ah, c’est compliqué hein…
On a donc l’amour et la haine.
La sueur est une référence quelque peu triviale à la très grande sensualité du roman, car si Vellini retient Marigny après que l’amour soit mort, c’est par les liens de la chair. C’est un amour qui tait son nom, que les personnages n’avouent jamais comme tel. Je sais, donner ce rôle à une bomba latina est encore une fois trop facile, ainsi que faire de la pure Hermangarde une oie blanche. On accumule les clichés mais là encore je pardonne puisque je pense à Baudelaire. Baudelaire et sa mulâtresse, Jeanne Duval VS Baudelaire et la belle Madame Sabatier (qu’il quitte après avoir enfin réussi à devenir son amant : «Il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme maintenant... ». Pas de quoi être fier. Il y a un mot pour les mecs de son genre.) Ainsi, en lisant « Une vieille maîtresse », j’ai pensé aux « Fleurs du mal », à sa violence et sa sensualité, sa volupté. Larmes enfin parce que bon, vous avez cru quoi ? Que la vieille maîtresse laisserait son lâcheur partir comme ça ? Que les deux rivales vont devenir amies et prendre le thé ensemble ? Que Marigny va être satisfait de sa situation, le cœur le tirant à gauche et les fesses à droite (quoique, il pourrait) ? On va donc pleurer, et deux fois plutôt qu'une. Roman de qualité inégale donc, mais vraiment fascinant. Enfin, moi j’ai marché à fond ! Marigny et Vellini forment à mes yeux un des plus beaux couples de la littérature.
Et pour l’adaptation au cinéma j’ai trouvé Asia Argento et Fu’ad Ait Aattou très bien choisis. Ils rendent très bien la passion, la sensualité. Même si les scènes d’amour sont un peu ridicules, vu la nature très concept de certaines figures amoureuses. C’est dommage car c’est un point important du livre. Ce qui est dommage aussi c’est que le déchirement entre les deux femmes n’est pas du tout bien rendu. Hermangarde a un rôle limite secondaire, alors que ce n’est pas du tout le cas dans le livre qui décrit un véritable triangle.
Le film n’est pas transcendant à mon avis. Je suis bien contente d’avoir lu le livre avant, sinon j’aurais été très déçue par l’histoire. Je tiens tout de même à remercier Claude Sarraute et à la médiocrité de son jeu de m’avoir donné un fou rire au milieu d’une scène plutôt dramatique.
En revanche j’ai un grand cri à pousser au sujet de la petite phrase introduisant le film : "1835 - au temps de Choderlos de Laclos". MAIS C’EST QUOI CE DELIRE ???????????
Je rappelle quelques dates :
- Choderlos de Laclos : 1741-1803.
- Publication des « Liaisons Dangereuses » : 1782
Et de toute façon, d’où la référence aux « Liaisons » ? Quel est le rapport entre ces deux œuvres ?Ok le libertinage, tout ça... Mais les « Liaisons » racontent des manipulations, « Une Vieille Maîtresse » raconte une passion.
Je vous jure parfois… Je me demande si je ne me suis pas trompée, ça me parait complètement aberrant. Quelqu'un a remarqué la même chose dans le film?
Ah, et l'affiche du film est nulle aussi.
Je vais me laisser tenter par « Les Diaboliques » du même Barbey d’Aurevilly. Car je me suis aperçue qu'il y en avait d'autres!