Dom Juan/Don Giovanni - Molière/Mozart *
Tenez vous bien : Molière était un génie.
C’est là que je vous ordonne de rester.
Mais la Lumière m’est apparue samedi soir, lors d’une
représentation du « Don Giovanni » de Mozart à l’Opéra Bastille (lança le renard mine de rien), ou plus
exactement à la fin de la représentation.
Je vous rappelle les faits : (le pitch)
Dom Juan comme « un nouvel Alexandre » se
caractérise par sa soif de conquêtes amoureuses. Sa liste recense quelques deux
mille dames & damoiselles en Europe (j’ai calculé, c’est tout à fait
possible au rythme d’une conquête par jour tous les jours pendant six ans). Il
ne recule devant rien, se défiant de toute morale (sauf de la sienne :
« se consacrer à une seule, c’est se montrer cruel envers les
autres ») et incarnant ainsi la figure du débauché, du
« dissoluto ».
Mais le traqueur devient traqué : Dom Juan se voit
menacé d’une damnation éternelle s’il ne se repend pas. Il revendique jusqu’au
bout son être de libertin et est donc entraîné aux enfers par la statue de
pierre du Commandeur (l’instance justicière).
Quand le valet déclare qu’il va se trouver un autre maître,
j’en suis restée clouée.
Cette fin est en cohérence avec toute la pièce chez Molière,
car Dom Juan se revendique athée, (« Je crois que deux et deux sont
quatre, et quatre et quatre sont huit » dans la scène du pauvre, qui a
longtemps été censurée d’ailleurs), ce qui n’est pas le cas chez Mozart, où
l’au-delà n’intervient qu’à la fin.
Dom Juan est ainsi un véritable héro tragique, à mettre au
même rang qu’une Phèdre ou un Œdipe.
Cette dimension existe aussi chez Mozart, mais est mineure.
Le titre complet de l’opéra, « Il dissoluto punito ossia il Don
Giovanni » (« le débauché puni ou Don Giovanni »), en plus du
chant final, montre le caractère essentiellement moralisateur de l’oeuvre.
« Don Juan aux
Enfers »
Quand Don Juan
descendit vers l'onde souterraine
Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir,
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.