Le livre de ma mère - Albert Cohen *
« Le livre de ma mère » dit la vie d’une mère. Elle revit à travers les souvenirs d’Albert Cohen et ses larmes, sa douleur de l’avoir perdue. On la voit tour à tour à travers les yeux d’un petit garçon, d’un adolescent, d’un jeune adulte, mais elle, reste toujours la même, avec son dévouement de sainte, ses sacrifices, sa sagesse, ses ridicules. La mère n’est pas idéalisée, et elle nous apparaît d’autant plus réelle, avec son chapeau étriqué, son mauvais français, ses régimes. Et lui, le monsieur de soixante ans qui écrit ces lignes, reste un éternel enfant qui appelle sa mère « maman ».
On dirait qu’il tente de ne pas perdre une miette de souvenir, comme si chaque moment oublié la tuait un peu plus. L’on suit le fil d’une pensée bric à brac qui mêle évocations et reflexions, faisant fi de la chronologie. On peut abandonner à un endroit, reprendre à un autre, sauter des pages, revenir en arrière. L’amour d’une mère étant sans limites, l’écriture de cet amour ne saurait être linéaire.
Dans son amour, la mère est davantage « La mère » que « Ma mère ». Même si ce n’est pas si clair que ça… Elle est sa « chérie », sa « bien-aimée ». On a envie de rappeler à Cohen que c’est de sa maman dont il parle, hein, sa mère quoi. Mais cela rend ce chant d’amour encore plus passionné et plus beau, triste. Et on se dit que si c’est pour la bonne cause, il a le droit d’appeler sa mère comme il veut.
Parfois on a envie de la frapper la maman. On a envie de lui dire d’arrêter
d’être aussi pomme! « Avec la
légèreté cruelle des fils, je frappais à deux heures ou trois heures du matin
et toujours elle me répondait, réveillée en sursaut, qu’elle ne dormait pas,
que je ne l’avais pas réveillée. »
Et parfois on a envie de frapper le narrateur. C’est comme ça que tu traites
ta mère ??? « Elle m’a attendu
trois heures dans ce square. Ces trois heures j’aurais pu les passer avec elle.
Tandis qu’elle m’attendait, auréolée de patience, je préférais, imbécile et
charmé, m’occuper d’une de ces poétiques demoiselles ambrées, abandonnant ainsi
le grain pour l’ivraie. J’ai perdu trois heures de la vie de ma mère. »
« Le livre de ma mère » ne fait donc
pas que raconter l’histoire de la mère d’Albert Cohen. Il est un vibrant
hommage, une offrande douloureuse fait sur l’autel de la maternité (ça n’ira
pas si je commence à écrire comme Cohen…). Son écriture poétique retransmet
tendresse, agacement, remords mais surtout vénération pour celle qui incarne
pour lui l’éternelle idée de la mère. A travers elle, il chante toutes les
mères. « Louange à vous, mères de
tous les pays, louange à vous en votre sœur ma mère, en la majesté de ma mère
morte. » On peut avoir l’impression qu’il en fait un peu trop, qu’il
verse un peu trop dans le pathos. Je pense qu’il a mis tout son amour dans ses
mots, et que dans ce cas les mots ne seront jamais assez violents. Et puis
c’est Albert Cohen, vous ne vous attendiez quand même pas à de la sobriété et
de la retenue ?
Ce livre est un magnifique et déchirant roman d’amour, un livre unique parce
que l’on peut chacun y reconnaître sa propre mère. « Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils
se fâchent et s’impatientent contre leur mère, les fous si tôt punis ».
Je ne sais pas vous, mais moi j’ai envie d’aller serrer ma maman.