Les raisins de la colère (The Grapes of Wrath) - John Steinbeck *
Dans la famille « Monstre Sacré de la Littérature avec
un M, S et L majuscules », je demande John Steinbeck !
Je veux vous parler des « Raisins de la Colère »
ou 500 pages d’argot écrit en tout petit, odyssée familiale au cœur
des Etats-Unis durant la crise des années 30, véritable pamphlet
révolutionnaire faisant appel aux prolétaires de tous les pays. « Steinbeck,
c’est le Zola du Middle West » dixit le seul, l’unique.
Dans le camion, au premier jour de leur odyssée, l’on
trouve : Ma et Pa Joad, Grampa et Granma, Tom Joad (tout juste sorti de
prison), Rose of Sharon enceinte et son benêt de mari Connie, Uncle John, Noah
le bizarre, Al le spécialiste des camions qui rendent l’âme, Ruthie et Winfield
les enfants, et Jim Casy, le prêtre défroqué.
A l’arrivée les choses auront bien changé, du fait de la
faim, de la révolte, de la peur, de la colère. Le mythe américain du renouveau
en prend un sacré coup.
Si son message politique n’est plus aussi subversif que lors de sa parution, l’évocation des Etats-Unis des pauvres blancs des années 30 a gardé toute sa force. On voit les immenses paysages de la route 66 avec ses panneaux et ses stands. On entend les voix de ces « Okies ». On sent l’odeur des frites et des hamburgers et de la sueur. On frémit devant la description minutieuse de la misère et de la germination de la colère (le Zola du Middle West, vous vous rappelez ? héhé) devant l'exploitation et le racisme. Car les Joads sont une famille parmi des milliers. Steinbeck étend leur destin à celui des travailleurs en général, consacrant des chapitres entiers à cette masse silencieuse et anonyme à laquelle se mêlent les Joads. C’est Ma Joad qui le dit : « We are the people » (« nous sommes le peuple »). D’où la dimension épique et prophétique de cette aventure humaine.
Il provient d’un chant anti-esclavagiste très connu aux
Etats-Unis (vous connaissez forcément : lala-♪lalala-lalala-♫lalala♪…)
The battle
hymn of the republic :
Mine eyes have seen the glory of the
coming of the Lord:/ He is trampling out the vintage where the grapes of wrath
are stored ; / He hath loosed the fateful lightning of his terrible swift
sword : / his truth is marching on »
“mes yeux ont vu la
gloire de la venue du Seigneur : / Il foule aux pieds la vendange où sont
conserves les raisins de la colère; / Il a dégainé l’éclair fatal de son épée
terrible et prompte, / Sa vérité s’est mise en marche”)
Le titre traduit donc l’esprit révolutionnaire américain en
marche. TA-DA !!
Et maintenant je vais vous rassurer : non ce livre
ne verse pas dans le misérabilisme, non on ne pleure pas à chaudes
larmes. Il y a des moments très drôles (les petits qui voient des WC
pour la première fois), des anecdotes savoureuses (Ma qui frappe un
colporteur avec un poulet déplumé), un parler franc savoureux.
Ce qui m'a fait entrer
dans le livre? Pas la sortie de prison de Tom Joad, mais l'aventure de
la tortue au début. Je l'ai trouvée pleine d'humour (l'aventure, pas la
tortue) et elle m'a donnée envie de lire la suite.
Tout ça pour vous dire que ce livre est plein de vie.
Sans transition, le film de John Ford ne traduit pas trop cette idée de
fresque, je trouve. Il se limite aux Joads et du coup il a moins de souffle.
Et puis ce n'est pas du tout la même fin! Aaaah la pudibonderie hollywoodienne.... (*petites étoiles dans les yeux*)
Moi je l’ai quand même trouvé très beau et bouleversant. Henry Fonda
est extraordinaire (comment il fait pour avoir l’air aussi gentil ? Même
dans « Il était une fois dans l’Ouest » je le trouve gentil). Jane
Darwell en Ma Joad est lumineuse. Elle incarne vraiment la figure de la Mère,
de la bonté sous des dehors un peu Calamity Jane.
Si vous regardez le film en anglais, il vous faudra les
sous-titres ! (du moins pour les non native speakers) Vous voyez « Le
secret de Brokeback Mountain » ? C’est ça, en pire. "Rose of Sharon", ça donne "Rosasharn". En effet, les
personnages ont le parler populaire de l’Amérique profonde, avec de
grosses fautes grammaticales, une syntaxe chamboulée. De plus Steinbeck rend
l’oralité en retranscrivant les mots de façon phonétique.
“Them dirty sons-a-bitches. I tell ya, men, I’m
stayin’. They ain’t getting’ rid a me. If they throw me off, I’ll come back,
an’ if they figger I’ll be quiet underground, why, I’ll take couple-three of
the sons-a-bitches along for company.”
Pas évident. Limite si je ne lisais pas les dialogues à voix
haute pour les comprendre. J’ai mis 250 pages avant de comprendre que “cuss”
voulait dire “curse” (= fléau).C’est décourageant. Mais au final j’ai trouvé
ça rigolo. Essayez !
En français c'est moins pittoresque et ça le fait moins. Mais en même temps ils
n’allaient pas les faire parler en patois bourbonnais !
Verdict: Je relirai