Mon nom est rouge - Orhan Pamuk
Aujourd’hui, en cette journée d’été caniculaire, de ma
chambre bostonienne balconée et très fenêtrée, je vais vous parler de « Mon nom est rouge ». Au
mépris de mes obligations administratives comme ouvrir un compte bancaire à la Bank of America par exemple.
Laissons de côté ces contingences matérielles et projetons
nous plutôt à Istanbul, hiver 1591. Il neige et il y a un puit bizarre. Une
voix en sort. C’est le cadavre à l’intérieur qui s’adresse à nous. Il n’est pas
très content d’avoir été assassiné.
Le roman introduit ainsi de façon très cavalière l’histoire
polymorphe et polyphonique de « Mon nom est rouge ». Le cadavre – feu
Monsieur Délicat, peintre hors pair et farouche défenseur de la peinture
traditionnelle ottomane- nous révèle d’emblée les raisons de son meurtre :
on voulait le faire taire. En effet, l’influence de l’art occidental, en
particulier vénitien, se fait sentir dans le milieu des miniaturistes de
l’atelier du Sultan avec la découverte du portrait et de l’affirmation du
« style », ce qui va à l’encontre de leur conception ordinaire de la
peinture. Le meurtre de Monsieur Délicat fait donc partie d’un complot contre
l’art ottoman, sa culture, ses traditions et partant, l’empire.
Un autre thème le double, celui de la confrontation de l’Orient et de l’Occident, problème tristement contemporain que l’auteur fait remonter au 16è siècle. On y retrouve avec inquiétude fatwas intellectuelles, (auto)censure, fondamentalisme et anathèmes.
L’auteur décrit et dénonce ainsi la vérité des choses, à travers une œuvre de fiction. Et comme pour mieux nous en convaincre, les derniers mots du livre sont consacrés à « Orhan », à qui sa mère confie l’histoire de « mon nom est rouge » afin qu’il la retransmette à son tour, « Car Orhan ne recule, pour enjoliver ses histoires, et les rendre plus convaincantes, devant aucun mensonge. »
Je disais personnages, mais en fait l’auteur fait parler des
objets comme une pièce de monnaie, un dessin (pas de détails croustillants pour
le coup) (quoique, elle s’est retrouvée dans de drôles d’endroits la pièce de
monnaie). A chaque nouveau chapitre, je trépignais d’impatience de découvrir le
nouveau narrateur ! C’était trop Noël !
Encore un autre exemple : un artiste ne peut affirmer
son style dans sa peinture car c’est signe de prétention. Il doit obéir avec
humilité aux canons instaurés depuis des siècles par les plus grands peintres.
Et puis on y découvre aussi Istanbul et sa vie de tous les jours. Exemple : les jeunes gens communiquent via les vendeurs ambulants en toute discrétion (enfin, tout est relatif, puisque ces lettres sont lues par les facteurs sans scrupules en question)
Et pour achever de séduire la midinette que je suis, il y a aussi une belle histoire d’amour bien littéraire et romanesque comme il se doit, avec des obstacles, des interdits et tout. Les Mille et une nuits ne sont pas loin…