Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) - Emily Brontë *
Je connais l’histoire depuis que je
suis toute petite. Ne fais pas cette tête lecteur, j’ai dit l’histoire, pas le livre. Bon, d’accord je
m’explique. En Inde, ils avaient cette collection de bouquins pour gamins,
qui étaient des abrégés des grandes œuvres. Version édulcorée. J’ai eu le temps
de lire les vraies versions depuis. Remarque, j’aurais pu continuer à bluffer
et à en jeter plein la vue à tous ces adultes : « woua elle connaît Emily
Brontë... » Les naïfs, s’ils savaient ! Mais honnêteté intellectuelle oblige…
Ca m’aura appris plein de choses sur mes bébés ! Je ne savais pas moi, que
Heathcliff se fracassait la tête contre un arbre quand il était contrarié, et
même qu’il y a du sang sur le tronc. Mais pourquoi elle raconte des trucs pas
sympas comme ça Emily Brontë?
N’empêche, édulcoré ou pas, ce livre me perturbait et j’ai mis longtemps
pour l’apprécier malgré le malaise qu’il suscitait et suscite toujours chez
moi. Ce n’était pas comme dans Jane Eyre (de sa grande soeur Charlotte) où je savais ce qui me faisait
peur (la femme folle du grenier, l’incendie du château). S’il y a des éléments
flippants dans les Hauts de Hurlevent , notamment les nombreux moments de séquestration, cela ne
justifiait pas l’angoisse que je ressentais. La noirceur, la violence, le
désespoir de l’œuvre me frappaient, mais je ne savais pas quelles causes
provoquaient ces effets.
Et puis le titre : Wuthering Heights, je n’ai jamais su le prononcer correctement. Essaye un peu.
Tu vois . Or on ne saurait connaître la chose si l’on ne réussit pas à la
formuler (= mauvaise récupération de Rousseau, non, philosophes de tous les
pays ne me frappez pas). Et puis ça veut dire quoi « wuthering » ? Ce n’est
pas dans le dictionnaire! Je sens que tu meurs d’impatience de le
savoir, et je ne vais pas te faire attendre plus longtemps. C’est une variante
du mot dialectal d’origine écossaise « whither », qui signifie tempête.
Maintenant je suis grande, et je sais. C’est la peinture de la nature
humaine dans toute sa démesure, sa folie, sa douleur qui a suscité en moi de
pareils émois.
Et maintenant silence : le pitch
Le pitch : C’est l’histoire des hauts de Hurlevent telle que la
rapporte Mrs Dean, une vieille servante à Lockwood. Les hauts de Hurlevent sont
des terres situées sur une colline sur laquelle souffle le vent du nord. La
famille Earnshaw y vit en toute quiétude jusqu’à ce qu’un jour, le père adopte
un enfant à la peau noire qui, à terme, provoquera la chute de la maison des
Earnshaw. Prénommé Heathcliff, il entretient une relation très privilégiée avec
Catherine, la fille Earnshaw, laquelle relation se transforme en amour
passionné. Cependant Heathcliff subit de multiples humiliations de la part de
l’entourage de Catherine. Une ultime vexation le pousse à se jurer de se venger
de cette famille. Sa fureur est décuplée lorsque Catherine décide d’épouser son
riche voisin, Edgar Linton. C’est le drame. Son unique but devient alors de
détruire les deux familles.
Je ne sais pas s’il y a un personnage principal dans Wuthering
Heights. Après tout, la dernière image que
j’ai retenu de l’œuvre est celle des tombes des trois personnages les plus
importants, placées l’une à côté de l’autre. En tout cas, le personnage le plus
marquant est Heathcliff. Si j’hésite à lui donner du « personnage principal »,
c’est parce qu’on ne le voit pas de façon continue tout au long de l’œuvre. Il
disparaît, puis réapparaît, et ce qu’il accomplit entre reste elliptique. De
plus, même quand il est à Wuthering Heights, il demeure invisible. On connaît
sa présence mais on ne le voit pas, on ne sait pas ce qu’il fait. Ce n’est pas
étonnant puisque la narration adopte le point de vue d’un personnage
particulier, et non celui de Heathcliff ou même d’un narrateur omniscient. Mais
s’il demeure un mystère durant toute l’œuvre, Heathcliff influence la vie de
tous les autres personnages, par la fascination, la peur, la colère qu’il
inspire, mais aussi à cause de sa résolution de détruire ceux qui l’ont fait
souffrir. On pourrait donc le comparer à une force maléfique. C’est vrai quoi,
il exagère un tantinet avec tout le monde (par exemple c’est trop son trip de
séquestrer les gens). En même temps, la solitude essentielle d’Heathcliff,
enfant recueilli, justifie cette violence. Sa douleur exprimée avec tant de
passion nous rend compte de son humanité.
Heathcliff me semble essentiellement lié aux
terres des hauts de Hurlevent (donc des Wuthering Heights), et partant au
roman, puisque celui-ci emprunte son titre aux terres en question. En effet, «
heath » signifie lande, bruyère, ce qui renvoie à tout l’arrière plan du récit
qui se situe dans une région désolée et sauvage de l’Angleterre. « Cliff »
signifie falaise, ce qui renvoie à « heights ». Il est la terre sur laquelle
souffle le vent en permanence. Il représente ainsi la sauvagerie, face aux
terres de Thrushcross Grange qui symbolisent la civilisation. En outre, en ce
qui concerne les sonorités, les fricatives et le H « soufflé » (ché pas comment
on dit) font entendre le vent sur « Heathcliff », et le relient encore plus
intimement à « Wuthering Heights ». De plus « Heathcliff » aussi est balèze à
prononcer. Ca aussi ça les lie intimement. Le seul prénom de ce personnage en
fait donc une incarnation de l’âme de ces lieux, et le roman tourne en tempête
autour de lui.
Et maintenant
l’histoire d’amour. Laissons parler Georges :
« Peut-être la plus belle, la plus profondément
violente des histoires d'amour..." Car le destin, qui, selon l'apparence,
voulut qu'Emily Brontë, encore qu'elle fût belle (cf
l’image, pas mal dans le genre anglaise romantique au teint de lys…),
ignorât l'amour absolument, voulut aussi qu'elle eût de la passion une
connaissance angoissée : cette connaissance qui ne lie pas seulement l'amour à
la clarté, mais à la violence et à la mort... ».
Georges Bataille
Juge par toi-même lecteur :
« Ni la misère, ni la déchéance, ni la mort, ni aucune peine venue de Dieu
ou de Satan n’auraient pu nous séparer … et vous de votre plein gré, vous
l’avez fait. Ce n’est pas moi qui ai brisé votre cœur, c’est vous, et, en le brisant,
vous avez brisé le mien. Tant pis pour moi si je suis en pleine santé. Ai-je
envie de vivre ? Quel genre d’existence sera la mienne quand vous … oh ! Dieu.
A-t-on envie de vivre quand votre âme est enfermée dans une tombe ? »
(Heathcliff lui renvoyant la balle)
Le mot de la fin :