Les oiseaux se cachent pour mourir (The thorn birds) - Colleen Mac Cullough *
« C’est complètement cousu de fil rose ce machin » disait Stricky, mon
prof bien-aimé. « Et vas-y que je porte des bottes et que je monte à
cheval et que le curé me trouve irrésistible ». Pff il n’a rien
compris.
Et puis Ralph c’est un prêtre, pas un curé. Ca ne fait pas
très glamour « curé », tandis que « prêtre », un peu plus. Je ne dis
pas que je trouve les prêtres glamour hein, n’allez pas tout comprendre
de travers ! Je ne suis pas sûre que ce distinguo serait recevable
auprès du Saint-Siège. On s’égare.
Le pitch : La famille Cleary s’installe en Australie. La petite fille, Meggie, se lie d’amitié avec Ralph de Bricassart, le jeune prêtre du domaine de Drogheda. D’un amour filial, ce lien va se transformer en quelques années en véritable passion. Pas de chance, il est prêtre. Et il ne tient pas à balancer son froc aux orties, même si ça ne le dérange pas de fauter de temps à autre avec elle, ce qui bien sûr n’arrange rien. L’on suit ainsi deux parcours : celui de Ralph, de Drogheda à Rome, et celui de Meggie, de la petite fille à la jeune mère. Cette œuvre raconte aussi comment ces chemins se croisent, dans la joie, mais surtout la souffrance.
Bon ça suffit. On ne peut pas résumer « Les oiseaux se cachent pour mourir ». C’est l’histoire d’une famille sur plus d’un demi-siècle, de 1915 à 1969, mettant en scène un très grand nombre de personnages dont le destin n’est jamais secondaire. Il est composé de sept livres, chacun se focalisant sur un personnage en particulier : « Meggie », « Paddy », « Luke », « Justine ». Plusieurs histoires se superposent, s’entrecroisent ou se succèdent. Parfois une trame semble disparaître, puis elle ressurgit au moment où les protagonistes et le lecteur s’y attendent le moins. Ces récits ne sont jamais un donné, c’est nous qui les découvrons et les reconstruisons en même temps que les personnages. Ainsi, l’on soupçonne tous quelque chose de pas net chez Frank, le fils préféré de la mère. Son histoire nous est donnée par bribes, révélations, souvenirs, articles de journaux, rumeurs. C’est ce côté fourmillant, cette ampleur, qui rendent ce livre aussi passionnant. On découvre toujours quelque chose de nouveau à chaque lecture.
Ce livre nous parle aussi de l’Australie, du milieu très particulier des propriétaires terriens et de leurs employés. Il nous décrit un paysage magnifique, mais aussi son revers, qui en fait parfois un lieu infernal, d’autant plus que le livre nous rend compte de vies sublimes de médiocrité.
C’est là que je vais me contredire et parler de quatre personnages véritablement romanesques. Bien sûr il y a Ralph, le beau jeune prêtre de moins en moins jeune, tiraillé entre ses voeux et son amour. Enfin, c’est lui qui le dit. Car en effet, son absolu de spiritualité est corrompu par son ambition dévorante de gravir les échelons de l'Eglise, et son amour à mon très humble avis, c'est du flan, puisqu'il sacrifie toujours Meggie à son ambition. Il ne m'est pas sympathique, vous l'aurez compris (même si voir Richard Chamberlain dans la version filmée me fait toujours un petit quelque chose). Il n'empêche qu'en ce personnage s'opposent et luttent le transcendant et la faiblesse humaine, il est à lui-même son propre bourreau ce qui le rend fascinant et véritablement romanesque. Trois femmes se distinguent également du reste des personnages. Meggie Cleary, magnifique rivale de l'Eglise dans sa lutte pour attirer Ralph à elle. Fiona Cleary, femme passionnée, enfermée dans son corps de mère et d'épouse, dans sa vie médiocre et douloureuse. Mary Carson, femme blessée et outragée, maitresse de Drogheda tenant entre ses mains le destin de tous les personnages. Toutes sont caractérisées par leur passion pour un homme hors d'atteinte, mais elles résolvent leur conflit intérieur de façon propre. La complexité de ces personnages rend à mon sens discutable l'appelation réductrice de « roman à l'eau de rose » dont on qualifie souvent ce livre. Na!
Les titres de cette oeuvre sont intéressants à observer. Le titre anglais (« The thorn birds » littéralement « les oiseaux à l'épine ») fait référence à une légende irlandaise au sujet d'un oiseau qui ne chante qu'au moment où il s'empale sur l'épine d'une aubépine. Ce chant unique est si mélodieux que le monde s'arrête pour l'écouter, et que Dieu lui-même en est bouleversé. Ainsi, ce titre constitue une métaphore de l'oeuvre, où « le meilleur n'est atteint qu'aux dépends d'une grande douleur ». Le titre français (« Les oiseaux se cachent pour mourir » donc) peut intriguer, tant il paraît éloigné de l'original. En réalité, il s'agit d'une référence à un poème de Coppée : « Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir? ». Cela renverrait donc à la douleur secrète et acérée des personnages.
A chaque fois que je le lis, ce livre me prend aux tripes. Il n'est pourtant pas particulièrement bien écrit ; certains passages sont même un peu ridicules (les scènes d'amour en général) (sauf celle sur l'île, mais là c'est la midinette en moi qui parle), et, pour être tout à fait franche, les deux derniers livres (« Dane » et « Justine ») me paraissent totalement fades et ininteressants. C'est uniquement l'histoire qui compte et c'est pour cela que la version télévisée a pu être relativement fidèle au livre. Mais ce souffle, cette noirceur, cette passion, les émotions menées à leur paroxysme... et puis Richard Chamberlain, n'oublions pas Richard Chamberlain.