La renarde fait la teuf.
Vendredi soir, j'ai été à ma première grosse fête sur le campus. Il s'agissait du Fall Ball, autrement dit le bal de la rentrée.
J'étais un peu déstabilisée: qu'est-ce qu'ils ont fait de leurs shorts en pilou? et de leurs T-shirts aux couleurs de l'université? C'étaient des ladies et des gentlemen qui traversaient le campus à 23h pour se rendre au gymnase, métamorphosé en night-club pour l'occasion.
Pour ma part, j'ai essayé de m'habiller aussi élégamment que possible, mais je ne pouvais pas rivaliser avec les robes fourreaux, les bustiers et les talons aiguilles de ces dames. Mais au moins, mes seins à moi n'essayaient pas de se faire la malle. Héhé.
Arrivée sur place, j'ai stoppé net devant le spectacle de cette foule immense qui s'affairait aux portes du gymnase. Ils étaient au moins 1000 et il y en avait déjà le double à l'intérieur. Avec toute cette agitation, on a eu des Cendrillons.
On n'était pas seuls: à l'extérieur se trouvaient
- les flics
- les pompiers
- une baraque à pizza
Dans la queue, plusieurs étaient déjà malades, titubants, complètement ivres. Comme l'alcool était interdit à l'intérieur, à cause de la présence des mineurs (ici la majorité est à 21 ans, ce qui exclue les trois quarts de l'université), la plupart ont eu la bonne idée de jouer à qui boira le plus avant de venir, lors de ce qu'ils appellent les "pregames" (autrement dit les échauffements). La plupart sont des Freshmen, des premières années donc, qui goûtent pour la première fois les voluptés de la débauche et de la luxure, et qui ne connaissent pas leurs limites. Ce soir là, trois élèves ont attéri à l'hôpital du campus.
Une fois à l'intérieur, on vérifie au moins trois fois ta carte d'étudiant, pour s'assurer que tu étudies bien à Tufts. On fouille aussi ton sac, pour vérifier que tu ne transportes pas d'alcool clandestinement, et la fête peut commencer. En réalité, ils se donnent complètement dès les premières minutes, avec de la techno et du hip hop en fond et à fond. Comme la police vire tout le monde à 1h du matin, il s'agit d'en profiter et de se donner en spectacle le plus possible, là, tout de suite. Ex: des simulations de fornication. Soit dit en passant, ils ont pas mal d'imagination, j'ai appris plein de choses ce soir là.
Dans le même esprit, un mec a supplié à genoux, en hurlant, une amie à moi de le gifler. Elle a fini par s'exécuter. Ca a résonné bien fort.
Cela m'a à la fois amusée et choquée. Votre humble servante n'est pas très rigolote vous savez. En tout cas je me suis sentie extérieure à tout ce cirque. J'étais spectatrice de ce tableau de la vie moderne, devenue pur pour-soi au regard distancié, conceptualisateur et un rien condescendant.
Je ne suis donc pas poète, selon la définition de Baudelaire ("Les Foules" Le Spleen de Paris)(ben oui, c'est un blog de littérature, vous avez cru que c'était la fête?):
Il n'est pas donné à chacun de prendre un
bain de multitude: jouir de la foule est un art; et celui-là seul peut
faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une
fée a insufflé dans son berceau le goût du travestissement et du
masque, la haine du domicile et la passion du voyage.
Multitude, solitude: termes égaux et convertibles pour le
poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas
non plus être seul dans une foule affairée.
Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu'il peut à sa
guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un
corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun. Pour lui
seul, tout est vacant; et si de certaines places paraissent lui êtres
fermées, c'est qu'à ses yeux elles ne valent pas la peine d'être
visitées.
Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse
de cette universelle communion. Celui-là qui épouse facilement la foule
connaît des jouissances fiévreuses, dont seront éternellement privé
l'égoïste, fermé comme un coffre, et le paresseux, interné comme un
mollusque. Il adopte comme siennes toutes les professions, toutes les
joies et toutes les misères que la circonstance lui présente.
Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint
et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte
prostitution de l'âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à
l'imprévu qui se montre, à l'inconnu qui passe.
Il est bon d'apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne
fût-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu'il est des
bonheurs supérieurs au leur, plus vastes et plus raffinés. Les
fondateurs de colonies, les pasteurs de peuples, les prêtres
missionnaires exilés au bout du monde, connaissent sans doute quelque
chose de ces mystérieuses ivresses; et, au sein de la vaste famille que
leur génie s'est faite, ils doivent rire quelquefois de ceux qui les
plaignent pour leur fortune si agitée et pour leur vie si chaste.
Ps: l'après-soirée en revanche valait le détour. Je n'ai pas perdu ma nuit.
Edit du 10/09: A tous ceux qui spéculent sur ma nuit de vendredi à samedi, je leur dis: "L'imagination est la reine des facultés".