The Conjure Woman - Charles Chesnutt
Vous voyez Mama, dans Autant
en emporte le vent ?
Que je vous rafraîchisse la mémoire…
« Mamzel Scarlet’ Mamzel Scarlet’ une fem’ ça doit
manger co’ un piti oiseau. Les hom’ ça n’aime pas les fem’ ave’ un trop g’and
appétit. Venez que j’ vous lace mon chou. »
Et Prissy, vous vous rappelez Prissy ? Celle qui ne se
presse pas pour trouver un médecin, alors que Melly beugle tellement un
accouchement c’est pas sympa…Tenez, vous savez à qui elle me fait penser dans
cette scène où elle chantonne et balance ses jupes en plein Atlanta alors
que Scarlett lui hurle de se bouger les fesses?
A « la belle Dorothée » de Baudelaire :
Cependant
Dorothée, forte et fière comme le soleil, s'avance dans la rue déserte, seule
vivante à cette heure sous l'immense azur, et faisant sur la lumière une tache
éclatante et noire.
Elle s'avance, balançant mollement son torse si mince sur ses
hanches si larges. Sa robe de soie collante, d'un ton clair et rose, tranche
vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son
dos creux et sa gorge pointue. (« La Belle Dorothée », Le Spleen de Paris)
On la voit autrement Prissy non ? Vraiment pas?
Tout ça pour vous dire que Mama et Prissy réunissent à elles
deux les caractéristiques du « Nègre » selon quelques auteurs sudistes
du 19è et du début du 20è (le but de mon propos donc). Ils forment un courant littéraire très particulier
que l’on appelle la « plantation fiction « , dont les plus
célèbres représentants sont Thomas Nelson Page (In Ole Virginia) et Joel Chandler Harris (Uncle Remus, His Songs and His Sayings).
Traditionnellement, ces œuvres mettent en scène un ancien
esclave racontant à un public de blancs sa vie sur la plantation, sous forme de
contes plaisants (« folktales ») en « negro dialect ».
Naturellement, tout était beau et bon au domaine, le maître était gentil, les
esclaves l’aimaient et s’amusaient comme des petits fous, même si travailler,
c’est dur.
Venons-en à l’esclave en lui-même : il était gentil, joyeux,
affectueux, un peu bête, paresseux, toujours prêt à faire un coup en douce. Un
vrai gamin en somme. On lui donne un nom : Sambo.
“But ef you en young miss dere doan’ min’
lis’nin ter a ole nigger run on a minute er two w’ile you er restin’, I kin
‘splain to you how it all happen’
Je vous le dis, c’est décourageant. Surtout quand on a fait
la fête après avoir fini Les Raisins de
la Colère en VO. On se croit perfectly fluent en américain de la
cambrousse, et tout d’un coup on tombe de haut : on n’était qu’au level 1.
Au début, on a juste envie de balancer le livre, mais comme
on se rend compte que c’est bien, on s’acharne, on lit à haute voix, on compose
un dictionnaire, on lit en fermant un œil et en penchant la tête à droite. A la
fin, on n’a pas tout compris, mais on en est au niveau LV10 donc faut pas trop
en demander.
Du coup ça change tout. A la différence de ses collègues blancs qui croyaient à fond que l’esclavage c’était le bon temps, Charles Chesnutt dénonce violemment cette période au travers des contes. Certes, on n’est pas obligé de croire qu’un homme a été transformé en arbre par sa bien-aimée, mais on peut imaginer la douleur qu’éprouvaient ces personnes à être séparées. Quand le maître fait couper l’arbre pour construire une cabane, on comprend que l’on a bâti les Etats-Unis par la souffrance et le sacrifice de vies humaines.
Charles Chesnutt dénonce également le racisme dont souffrent les noirs à la fin du XIXè siècle (qui voit le lynchage de masse) à travers la voix condescendante de John. Et on comprend que les petits coups en douce de Julius ne font pas sens par le profit matériel qu’il en tire, mais par la résistance qu’il oppose à l’oppression des blancs. Du coup le dialecte prend une certaine noblesse, comme le refus d’adopter totalement la langue des maîtres. Ce sont eux qui sont obligés de s’adapter, pas lui.
Comme il pouvait « faire » blanc (je n'en reviens toujours pas), il ne s’est pas révélé
comme auteur noir au départ, ne voulant pas influencer le jugement de ses
lecteurs. Son but était qu’ils voient les réalités de l’esclavage, pas qu’ils
se demandent si le livre était pas mal pour un noir ou pas. Ca n'a pas si bien marché que ça en fait, son lectorat ne voulant lire que ce qu'il avait envie de lire. On a préféré voir l'aspect pittoresque des histoires, ce qui explique la couverture originale, où l'on voit Julius rieur entouré de deux lapins.